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Existe-t-il un vote musulman ?

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Comme à chaque élection, la question du “vote musulman” est posée, souvent de manière très mystifiée, et de nombreux débats politiques ont lieu au sein de la communauté musulmane française, exprimant la diversité de ses orientations et l’absence de toute vision politique monolithique. Ces positionnements politiques paraissent d’ailleurs parfois contradictoires avec la manière dont d’autres déterminent ce que devrait être l’attitude électorale d’un musulman. Face à ces débats divergeants et ces positionnements contradictoires, il est important de chercher à rationaliser et expliquer ces phénomènes en plus de les identifier et de les exposer, pour tenter de mieux cerner la “sociologie électorale musulmane” en France.

Mes observations dans le cadre des élections présidentielles actuelles confirment ce que je dis depuis plusieurs années: Il n’existe pas de vote musulman, mais il existe en revanche une “sensibilité musulmane” en politique.

En premier lieu, le mythe d’un “vote musulmane” est infirmé par la pluralité des postionnements des musulmans de France, qui sont parfois diamétralement opposés.

Avant même d’évoquer les choix électoraux, la position des musulmans sur la question du vote en tant que tel fait déjà l’objet de divergences.

En effet, bien que la majorité des grandes organisations islamiques incitent les musulmans à voter, à l’instar du CFCM, de l’UOIF, de la Grande Mosquée de Paris ou de la Grande Mosquée de Lyon[1], certains courants minoritaires, principalement littéralistes, appellent à ne pas voter pour des raisons théologiques, considérant qu’il s’agit d’un acte illicite religieusement (haram).

De plus, d’autres acteurs de la communauté musulmane, non pas sur une base théologique mais celle d’une lecture politique critiquant le système, appellent à une “abstention active”. Il s’agit de s’engager dans le débat et d’être des citoyens politiquement actifs, mais qui s’abstiennent du fait d’une estimation considérant l’offre politique comme biaisée, ne permettant pas un réel changement politique et économique. Cette demarche est notamment défendue par l’intellectuel Suisse Tariq Ramadan[2].

D’autres encore s’abstiennent par rejet de la chose publique, par absence de confiance en l’élite politique ou par sentiment d’exclusion et discrimination. Les absentitionnistes sont d’ailleurs très nombreux parmi les musulmans mais pour des raisons essentiellement socio-economiques ou politiques et non des motifs religieux[3].

Des choix électoraux très différents

On observe très clairement chez les français musulmans des choix électoraux très diversifiés.

Pour le cas de l’actuelle élection présidentielle, vous trouverez aussi bien des musulmans parmi les électeurs de Benoît Hamon, de Mélenchon, de François Asselinau, de Philippe Poutou, de Nicolas Dupont Aignan et même de François Fillon. On voit même, de manière très marginale, des électeurs du Front National[4].

Beaucoup de questionnements et de débats ont lieu au sein de la communauté musulmane, où certains tentent de défendre “leur candidat” en expliquant notamment qu’il est dans “l’intérêt des musulmans” de voter pour lui. D’autres vont reprocher à certains musulmans de choisir tel ou tel candidat qui a défendu, à un moment donné, telle position qui va à l’encontre de l’islam, a tenu tel propos hostile aux musulmans ou a défendu telle position sur une question de politique étrangère.

En effet, certains candidats obtiennent d’importantes voix chez des musulmans, alors même qu’ils ont pu défendre des positions hostiles aux musulmans ou au minimum à certains éléments en lien avec l’islam.

Une analyse est donc nécessaire pour tenter de comprendre ces phénomènes de prime abord contradictoires.

Une “sensibilité musulmane” en politique

Même s’il n’y a pas de “vote musulman”, on trouve malgré tout une “sensibilité musulmane” en politique, qui peut impacter les choix électoraux. Il s’agit de dire que sur certains sujets, la majorité des musulmans seront plus sensibles que le reste de la société. Par exemple, sur des questions comme le racisme, l’islamophobie, la viande halal, la politique étrangère au Moyen-Orient, la vision de la laïcité ou même parfois sur les moeurs et les valeurs familiales. Cette sensibilité explique par exemple que très peu de musulmans votent pour le Front National, contrairement à d’autres communautés “religieuses” où la proporition de vote FN est bien plus élevée. C’est aussi certainement cette “sensibilité musulmane” qui a amené 93% des musulmans à voter Hollande lors des présidentielles de 2012 ou plutôt contre Sarkozy[5], du fait de la surenchère de ce dernier sur les questions identitaires.

Mais cette sensibilité est largement mise au second plan d’une manière générale comparativement aux questions économiques et sociales.

Ainsi, beaucoup de musulmans votent avant tout en fonction de leur position sociale et de leur “classe”. Un musulman ouvrier ou au RSA n’aura souvent pas les mêmes choix électoraux qu’un musulman patron d’une grande enterprise. Chacun votera en fonction de ses “intérêts de classe”. Ils regarderont donc d’avantage les propositions des candidats en matière de fiscalité, d’entreprenariat, d’indemnités chômage, d’emploi ou de services publiques, que leurs positionnements en matière d’islam, de foulard, de halal, de politique étrangère ou de laïcité.

De plus, cette sensibilité musulmane s’exprime surtout lorsqu’il y a de la surenchère sur des questions touchant aux musulmans ou à l’islam, de telle sorte que le candidat sera perçu comme “hostile”. Mais en l’absence de surenchère, même si le candidat a pu avoir des propos négatifs sur certains aspects de la religion musulmane ou sur des élements touchant à la réalité des musulmans, cela aura peu d’impact sur les choix électoraux.

On retrouve cette situation dans le cas du vote pour Jean-Luc Mélenchon. En effet, ce dernier a tenu à plusieurs reprises des propos hostiles à l’égard des femmes portant le foulard, une question pour laquelle une majorité de musulmans est très sensible comme l’ont toujours démontré les chiffres[6], et pourtant il attire de nombreux électeurs de confession musulmane.

Comment expliquer cette apparente contradiction ?

Tout d’abord, car Jean-Luc Mélenchon ne se crée pas “une identité politique” sur ces thématiques autour de la visibilité musulmane et il a réussi à être perçu comme l’antithèse de Marine Le Pen,  notamment en s’opposant au “racisme de l’extrème droite”. Il ne sera donc pas perçu, pour beaucoup, comme étant hostile aux musulmans, malgré ses propos, à l’inverse de Nicolas Sarkozy ou de Manuel Valls, qui ont cherché à faire de la surenchère sur ces questions et ont été perçus en retour comme excessivement hostiles aux musulmans. Ce qui avait amené à l’époque 93% des musulmans à voter Hollande plutôt que Sarkozy selon un sondage d’OpinionWay[7], et beaucoup ont aussi voté aux primaires socialistes “contre Valls”. Ici, la “sensibilité musulmane” a eu un impact important sur le vote du fait de la surenchère de ces deux leaders politiques. La surenchère politique sur les questions identaires, sur l’intégration, sur la laïcité et sur l’islam ont permis à cette “sensibilité musulmane” de prendre le dessus sur les déterminants classiques du vote des musulmans, qui sont les mêmes que le reste de la société, à savoir l’économie, l’éducation, la sécurité ou la santé.

Priorisation des sensibilités

Au sein de cette “sensibilité musulmane” il existe des “sensiblités” plurielles auxquelles les élécteurs musulmans accorderont un interêt différent en fonction de leurs priorités propres.

Ainsi, à titre d’exemple, si un candidat défend leur position sur un sujet de politique étrangère au Moyen-Orient, ils oublieront sa vision rigoriste de la laïcité et vice versa. Il en va de même pour les questions d’économie et d’identité. On retrouve notamment cette “priorisation des sensibilités” dans le cadre du vote en faveur de Macron ou de Mélenchon.

La priorisation des sensibilités amènent même certains musulmans à défendre François Fillon, en raison de ses positions conservatrices sur la famille, en dépit de ses discours visant à donner de lui l’image d’un homme ferme face aux musulmans de France. On se souvient notamment de ses déclarations estimant que la seule communauté qui poserait problème en matière de communautarisme et d’unité nationale était la communauté musulmane[8][9].

Le côté “anti système” et anti capitaliste de Philippe Poutou a séduit certains musulmans dont le vote se porte vers lui, malgré les propos de ce dernier considérant le foulard islamique comme un “signe de soumission”. Même si certains électeurs musulmans de Philippe Poutou seront en désaccord avec ce dernier sur le sujet, tout au moins pour ceux qui sont au courant de sa position, cela n’altérera pas leur vote d’une manière générale, du fait de cette “priorisation” et de l’absence de surenchère. Ce qui démontre encore une fois que le positionnement sur les questions liées à l’islam ne l’emporte pas souvent en matière de choix électoraux dès lors qu’il n’y pas de surenchère et que le candidat n’en parle que rarement.

Le vote utile

La logique du vote utile touche aussi les français musulmans comme le reste de la société. Ainsi, beaucoup chercheront à voter pour le « moins pire » parmi les favoris des sondages, plutôt que de voter pour celui dont ils se sentent le plus proche. On constate par exemple que de nombreux électeurs musulmans préférant Benoit Hamon,  décident finalement de voter Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon pour que leur votre soit « utile ».

De l’échec de l’intégration aux partis traditionnels à l’émergence de partis alternatifs

Enfin, au delà de l’élection présidentielle, les chiffres nous montrent que les français musulmans sont sous représentés dans les partis politiques traditionnels[10]. De plus, de nombreuses expériences dans les partis politiques n’ont pas été fructueuses pour certains citoyens français de confession musulmane, une partie considère même avoir été discriminée. Cette frange de la communauté musulmane estime que les partis politiques empêchent l’accession à de hautes fonctions au sein des partis aux personnes s’assumant comme musulmanes. Il y aurait donc des blocages structurels infranchissables et de ce fait il s’agirait d’un combat perdu d’avance. L’exclusion d’un membre du mouvement en marche, Mohamed Saou, en raison de certains tweets jugés trop « pro-musulman », en est un exemple parmi beaucoup d’autres[11].

Cela a amené certains acteurs à créer leurs propres partis politiques. On peut citer le cas de l’UDMF (l’Union des Démocrates Musulmans Français)[12] ou encore du PEJ (Parti Égalité et Justice)[13], qui ne sont pas des « partis musulmans », mais des initiatives citoyennes à dimension communautaire et/ou à sensibilité musulmane. Il s’agit en fait de partis politiques créés principalement par des français de confession musulmane, au sein desquels ces derniers s’assument, tout en cherchant à rester ouvert à tout le monde et à proposer des programmes s’adressant à l’ensemble de la société française en traitant par exemple de l’écologie, du chômage, de l’économie, de l’éducation ou de la politique sociale. Ces partis expriment tout de même une sensibilité plus forte que les partis classiques sur les questions touchant au racisme, aux discriminations, à l’islamophobie, aux problèmes des quartiers populaires ou à la place des français issus de la diversité en politique.

Conclusion

On constate donc que les positions politiques et les choix électoraux des musulmans sont aussi variés que le reste de la société française, ils sont même très souvent diamétralement opposés. Le facteur religieux joue un rôle très secondaire dans les orientations et décisions politiques, même si il existe sur certains sujets une sensibilité musulmane qui peut parfois influencer les votes et les orientations politiques, particulièrement lorsqu’un acteur politique est perçu comme étant dans la surenchère.

Les questions socio-économiques, et la position que chacun occupe dans la société, restent les principaux déterminants en matière de choix politiques. Ainsi, on peut dire qu’il n’y a pas de vote musulman en tant que tel ni de déterminisme islamique en matière d’orientation politique.

Yannis Mahil, Islamologue

[1] http://www.saphirnews.com/Du-droit-au-devoir-de-voter-ces-organisations-musulmanes-qui-militent-contre-l-abstention_a23769.html

[2] https://www.youtube.com/watch?v=hZyuyz05mNg

[3] http://www.francetvinfo.fr/politique/je-me-sens-rejete-rencontre-avec-des-electeurs-musulmans-abstentionnistes_1716327.html

[4] http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/ces-musulmans-qui-votent-fn-690202.html

[5] http://www.lavie.fr/actualite/93-des-musulmans-ont-vote-pour-francois-hollande-07-05-2012-27212_3.php

[6] http://www.lejdd.fr/Societe/Religion/Musulmans-de-France-l-enquete-qui-surprend-810157

[7] http://www.lavie.fr/actualite/93-des-musulmans-ont-vote-pour-francois-hollande-07-05-2012-27212_3.php

[8] http://www.leprogres.fr/politique/2016/07/23/francois-fillon-il-faut-engager-la-lutte-contre-le-communautarisme-de-l-islam

[9] https://twitter.com/fillon2017_fr/status/769895362891046912?lang=fr

[10] http://www.discriminations.inegalites.fr/spip.php?article41

[11] http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/07/mohamed-saou-un-referent-d-en-marche-ecarte-pour-des-raisons-strategiques_1561200

[12] http://udmf.fr

[13] http://parti-egalite-justice.fr

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