Comprendre l'Islam

L’alliance ou le principe de « loyauté » (al-mowalat ou al-wala)

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Parmi les textes mal compris, nous pouvons citer les versets coraniques qui sembleraient proscrire toute alliance et toute relation amicale avec les non musulmans. Par exemple : « Que les croyants ne prennent pas, à la place des fidèles, les négateurs pour alliés ! Quiconque le fera aura rompu toute alliance avec Dieu, à moins d’y être contraint par un péril à redouter »[1], « Annonce aux hypocrites qu’un châtiment douloureux leur est réservé. Ces hypocrites qui prennent leurs alliés parmi les infidèles, de préférence aux croyants, comme s’ils étaient à la recherche de la puissance auprès d’eux. Eh bien ! Qu’ils sachent que la puissance, toute la puissance, n’appartient qu’à Dieu »[2].

Certains littéralistes ont interprété ces textes de façon à faire de l’animosité et la haine les seuls liens qui peuvent exister entre les musulmans et les non musulmans. Cette compréhension, aussi réductrice qu’inquiétante, a semé la confusion dans l’esprit de certains jeunes rigoristes, les poussant à s’interdire toute forme de relation amicale avec les non musulmans, sous prétexte que ce genre de relation est en totale contradiction avec le principe de « loyauté » (al-wala).

Il nous incombe donc d’élucider cette question. Il suffit pour cela de rassembler tous les textes qui traitent de ce sujet, et de les analyser à la lumière de leurs causes de révélation.

Nous pouvons alors déduire que la forme d’ « alliance » ou de « loyauté » (al-wala) interdite dans les versets précédents est celle qui s’établit entre le musulman et le non musulman au détriment des musulmans, en devenant, par cette alliance, un ennemi de sa nation et de sa religion, pratiquant ainsi toute forme de trahison et d’espionnage.

La raison d’être (‘illa)[3] de cette interdiction réside donc dans le fait de changer sa loyauté d’une nation à une autre, d’un peuple à un autre, ce qui constitue, dans le jargon contemporain, un acte de haute trahison. C’est d’ailleurs dans ce sens que Dieu dit : « Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas les juifs et les chrétiens pour alliés. Ne sont-ils pas alliés les uns des autres ? Quiconque parmi vous les prend pour alliés sera des leurs. Dieu ne guide pas les traîtres. C’est ainsi qu’on voit certains individus à la foi chancelante courir après de telle alliances, en disant : « Nous craignons d’être victime d’un revirement du sort ! » Et, cependant, il est possible que Dieu accorde aux croyants la victoire ou leur ménage une issue favorable, et que ces gens-là soient alors réduits à regretter les projets qu’ils avaient secrètement nourris »[4].

Ainsi, l’ « alliance » interdite est celle qui consiste à nouer des relations amicales avec quiconque déclare la guerre aux musulmans, les offense et les opprime. Dans son livre « Al-‘alaqat ad-douwaliyya fil-islam » (Les relations internationales en islam), cheikh wahba az-Zouhayli écrit : « L’interdiction de s’allier aux non musulmans ne signifie nullement l’interdiction de toute forme de pacification ou de bienfaisance à leur égard. L’alliance interdite est au sens de les prendre pour alliés pour triompher de sa propre nation, en se soumettant complètement à eux et en espionnant les musulmans »[5].

Nombreux versets viennent confirmer cette analyse, par exemple :

Dieu dit : « Tu ne verras jamais ceux qui ont foi en Dieu et au jugement dernier sympathiser avec ceux qui s’insurgent contre Dieu et Son Envoyé, fussent-ils leurs pères, leurs fils, leurs frères ou leur tribu »[6].

Il est évident qu’il s’agit dans ce verset de ceux qui « s’insurgent contre Dieu et Son Messager » et non pas, d’une manière absolue, de toute personne qui a choisi de ne pas avoir foi en Dieu. Le mot arabe (haad-da) traduit ici par « s’insurgent contre » signifie dans ce verset combattre, opprimer et persécuter toute personne croyante.

Dans le premier verset de la sourate 60, Dieu dit : « Ô vous qui croyez ! Ne prenez point Mes ennemis et les vôtres pour alliés ! Vous leur témoignez de l’amitié alors qu’ils ont renié la vérité qui vous a été révélée, expulsé le Prophète et vous-mêmes pour avoir cru en Dieu votre Seigneur. Si vous êtes sortis réellement pour défendre Ma Cause et rechercher Mon agrément, comment expliquer les marques d’amitié que vous leur prodiguer secrètement. Je connais parfaitement les pensées que vous cachez et celles que vous divulguez. Quiconque d’entre vous agit de la sorte se fourvoie loin du droit chemin »[7].

Il est intéressant de remarquer qu’il s’agit, dans ce verset, d’ « ennemis de Dieu et des musulmans ». Or, toute personne non croyante n’est pas forcément un ennemi de l’islam et des musulmans.

D’autre part, ce verset démontre d’une manière explicite que la raison d’être (‘illa) de l’interdiction de prendre les non musulmans pour alliés et de leur témoigner de la sympathie réside dans le fait d’avoir expulsé injustement le Prophète, que la Paix et la Bénédiction de Dieu soient sur lui, et les musulmans de leurs demeures. Par conséquent, ce verset signifie que dans l’absence de cette raison d’être, il n’y a aucun mal  à établir des alliances dans le domaine du profane avec les non musulmans, ni à leur témoigner de la sympathie et de l’amitié.

Dieu dit également dans la même sourate: « Dieu ne vous défend pas d’être bons et équitables envers ceux qui ne vous attaquent pas à cause de votre religion et qui ne vous expulsent pas de vos foyers. Dieu aime ceux qui sont équitables. Mais Il vous interdit toute liaison avec ceux qui vous combattent à cause de votre religion, qui vous chassent de vos foyers, ou qui contribuent à le faire. Une telle alliance constituerait une véritable injustice »[8]

Ces versets, à l’instar du verset précédent, interdisent toute alliance avec ceux qui combattent les musulmans à cause de leur religion, qui les expulsent de leurs demeures ou qui contribuent à le faire ne serait-ce que par l’encouragement. Par opposition, cela signifie que toute alliance avec le premier groupe, ceux qui entretiennent des relations pacifiques avec les musulmans, n’est guère proscrite.

Conclusion

Nous avons prouvé, textes à l’appui, les limites de la lecture littéraliste qui véhicule une compréhension aussi réductrice qu’erronée du principe de l’ « alliance » (al-wala).

Des alliances, des relations amicales peuvent naître entre le musulman et le non musulman en raison du voisinage, du travail, des études ou des qualités humaines que l’un perçoit dans l’autre. Toutes ces relations ne contredisent en rien le principe de « al-wala ». Pour preuve, l’islam n’a-t-il pas permis de prendre pour épouse une femme parmi les gens du Livre, et d’établir avec celle-ci une relation conjugale fondée sur l’amour, la quiétude et la tendresse ? Dieu ne dit-Il pas : « Et parmi Ses signes, c’est d’avoir créé de vous et pour vous des épouses afin que vous trouviez auprès d’elles votre quiétude, et d’avoir suscité entre elles et vous amour et tendresse »[9] ? Comment peut-on concevoir que l’islam puisse permettre au musulman de prendre une femme parmi les gens du livre pour épouse, puis lui demande d’éprouver de la haine envers sa propre épouse et de s’interdire toute forme d’affection et d’amour à son égard ? Comment concevoir que l’enfant qui est le fruit de cette union ne puisse aimer sa mère ?! Encore moins ses grands-parents, ses oncles, ses cousins… ? Comment ne pas aimer sa propre famille ?! Comment concilier cette prétention avec le grand intérêt qu’accorde l’islam aux liens de parenté « Les liens de parenté sont accrochés au Trône de Dieu. Ils disent : « Celui qui nous maintient, Dieu maintient le lien avec lui, et quiconque nous rompt, Dieu rompt avec lui »[10].

Parmi les choses les plus étonnantes, choquantes et invraisemblables qu’il m’a été donné de lire à ce sujet, une parole d’un auteur, fervent défenseur du principe de « al-wala », qui consisterait à donner un contre argument contredisant ce qui a été mentionné au sujet des relations d’affection et de tendresse au sein d’un couple mixte. L’auteur dit en ces termes: « Quant à la miséricorde (ar-rahma), il n’y a en cela aucun mal. Elle ne constitue pas une forme d’alliance. Quant à l’affection, la règle veut qu’elle soit interdite, car il est commandé au musulman de ne pas manifester d’affection »[11] !!!

En conclusion, il serait aberrant et totalement erroné d’interdire toute forme de relation entre le musulman et le non musulman et de rejeter la notion de la fraternité humaine sous prétexte du principe de « al-wala ».

Extrait du livre « La fraternité humaine en islam » de Moncef Zenati
Disponible ici


[1] – Coran s 3 v 28

لا يتخذ المؤمنون الكافرين أولياء من دون المؤمنين، ومن يفعل ذلك فليس من الله في شيء إلا أن تتقوا منهم تقاة، ويحذركم الله نفسه

[2] – Coran s 4 v 138-139

بشر المنافقين بأن لهم عذابا أليما. الذين يتخذون الكافرين أولياء من دون المؤمنين، أيبتغون عندهم العزة، فإن العزة لله جميعا

[3] – les spécialistes des fondements du droit musulman définissent le « raison d’être » (‘illa) comme étant le critère sur lequel est fondée la prescription juridique.

[4] – Coran s 5 v 51-52

يا أيها الذين آمنوا لا تتخذوا اليهود والنصارى أولياء، بعضهم أولياء بعض، ومن يتولهم منكم فإنهم منهم، إن الله لا يهدي القوم الظالمين. فترى الذين في قلوبهم مرض يسارعون فيهم يقولون نخشى أن تصيبنا دائرة، فعسى الله أن يأتي بالفتح أو أمر من عنده فيصبحوا على ما أسروا في أنفسهم نادمين

[5] – « al-‘alaqat ad-douwaliyya fil-islam » de Wahba az-Zouhayli p 96

[6] – Coran s 58 v 22

لا تجد قوما يؤمنون بالله واليوم الآخر يوادون من حاد الله ورسوله

[7] – Coran s 60 v 1

تلقون إليهم بالمودة وقد كفروا بما جاءكم من الحق يخرجون الرسول وإياكم أن تؤمنوا بالله ربكم

[8] – Coran s 60 v 8-9

لا ينهاكم الله عن الذين لم يقاتلوكم في الدين ولم يخرجوكم من دياركم أن تبروهم وتقسطوا إليهم، إن الله يحب المقسطين. إنما ينهاكم الله عن الذين قاتلوكم في الدين وأخرجوكم من دياركم وظاهروا على إخراجكم أن تولوهم، ومن يتولهم فأولئك هم الظالمون

[9] – Coran s 30 v 21

ومن آياته أن خلق لكم من أنفسكم أزواجا لتسكنوا إليها وجعل بينكم مودة ورحمة

[10] – rapporté par al-Boukhari et Mouslim d’après Aïsha que Dieu l’agrée

الرحم معلقة بالعرش تقول: من وصلني وصله الله، ومن قطعني قطعه الله

[11] – « al-wala wal-bara fi ‘alaqatil-mouslim bighayril-mouslim » de Abdoullah ibn Ibrahim p 37-38

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