Actualités

L’homme qui alluma le flambeau de la révolution – Par Malek Bennabi

Pinterest LinkedIn Tumblr

Cet article paru pour la première fois dans le journal « le jeune musulman » (1952-1954). Journal de l’organe des jeunes de l’association des ulémas d’Algérie :

« Nous présentons à nos lecteurs un fragment d’une étude consacrée aux « Frères Musulmans », par notre collaborateur Malek Bennabi, étude qui fera partie de son ouvrage en préparation «  Vocation de l’islam ».

 

Haçan El-Bannâ n’est enveloppé d’aucun mystère : un professeur du secondaire qui allait faire régulièrement sa prière du vendredi, tantôt dans une mosquée, tantôt dans une autre, au  Caire. Il profitait seulement de ces occasions pour rappeler au public des fidèles quelques préceptes du Coran. Au demeurant, il n’en  faisait pas l’exégèse, la laissant au maître d’Al-Azhar, plus savant que lui, en cette matière. D’ailleurs que ferait  l’exégète en l’occurrence d’un verset Coranique ? Il le transformait en champ d’exploration philologique, théologique, philosophique, juridique, même historique, c’est-à-dire en domaine scientifique. Il ne dira d’ailleurs que ce qui peut-être la vérité ou qui l’est précisément.

Au demeurant, lui-même ainsi que ses auditeurs y croient sincèrement. Mais cette vérité n’a de rapport avec la réalité que sur le plan intellectuel. C’est le rapport de la vie avec la science et non avec la conscience. Donc rapport purement théorique. A supposer même qu’il ne fut pas intellectuellement discutable cet enseignement n’implique pas, néanmoins, les conditions de la transformation radicale des facteurs sociologiques fondamentaux, ni la catalyse de leur synthèse.

     Or, c’est seulement à partir de ces conditions et de cette catalyse qu’on peut établir un rapport organique entre une doctrine sociale et son objet. C’est aussi à partir de ces données qu’on peut faire la comparaison entre l’enseignement de l’école réformiste classique et le mouvement des « Frères Musulmans ». C’est précisément le rapport de la science à la conscience d’une part et celui aussi de la pensée simple ou du simple sentiment à l’acte concret. Dans un cas, la « solidarité islamique » par exemple est fondée sur la simple notion de  fraternité – un sentiment – tandis qu’elle devient chez Haçan El-Bannâ, la « Fraternisation » – un acte – l’acte fondamental par lequel on devient « Frères musulmans ». Mais par cet acte, l’homme passe du stade post-almohadien au stade de la renaissance, comme il passait jadis, par le même acte, de la société djahilienne à la communauté islamique. Et pour opérer cette transformation de l’individu, le chef des «  Frères musulmans » n’utilise, nous l’avons vu, que le verset Coranique. Mais il l’utilise dans les conditions psychologiques mêmes ou il était utilisé jadis par le Prophète (saw) et ses compagnons. Toute la discrimination et le «  mystère » sont là : Ici, on se sert du verset comme d’une notion «  révélé » et là comme une notion «  écrite ».

     Si Haçan El-bannâ bouleversa son auditoire, c’est précisément parce qu’il n’interprète pas le Coran mais le « révèle » à des consciences qui en sont bouleversées. Sur ses lèvres, le coran n’est plus la citation d’un document refroidi, l’évocation d’un code écrit, mais le jaillissement d’un verbe vivant, d’une lumière qui éclaire et qui guide, d’une source d’énergie. Ce n’est pas le Dieu théologal et rationnel qu’il manifeste, mais le Dieu agissant, immanent, le Dieu dont les premiers musulmans sentaient, physiquement, la présence et le souffle à Badr et à Honain. La vérité coranique se vérifie ici directement par sa propre lumière, par son effet direct sur la conscience, dans son propre travail, sur les hommes et sur les choses : elle devient « une vérité travaillante »

     La notion plus ou moins abstraite, plus ou moins intellectuelle, fait place ici à une valeur concrète, actualisée, chosifiée : la notion et la chose tout ensemble unies dans une synthèse active de la pensée et de l’action s’épaulent, se justifient mutuellement dans l’évolution d’une société qui pense son action et agit sa pensée.

     C’est cela l’enseignement de Haçan El-Bannâ : une expérience personnelle qui ne rappelle pas à la conscience musulmane la lettre du Coran, mais la source même de la révélation. Expérience dont le fruit devient sensible sous  forme de « vérité travaillante » dans tous les domaines de la vie. Tout d’abord à la base même de cette vie, elle transforme la psychologie de l’individu. Le jeune Egyptien dont le patriotisme admirable se consumait en flambées oratoires pour réclamer ses droits, comprend en devenant «  Frère musulman » que la seule voie pour y parvenir, c’est celle du devoir. Et dans cette voie, il constate aussitôt ses responsabilités, son pouvoir sur les âmes et sur les choses. Il devient, en effet, l’apôtre qui appelle. Et son appel touche, transforme, guide d’autres hommes qui deviennent d’autres frères. Et le mouvement comptera bientôt ainsi des millions d’hommes animés du même idéal. Le gigantesque moteur se met en mouvement et met en mouvement toute la vie du pays en créant des banques pour orienter le capital, une presse puissante pour orienter la culture, une industrie pour créer et orienter le travail. Des milliards sont rassemblés et investis par les « Frères musulmans » qui créent les deux bases nécessaires à la vie de l’individu : la base morale et la base matérielle. Cependant, ramené à ses termes phénoménologiques ce mouvement n’était, que le fruit d’une expérience personnelle. Haçan El-Bannâ l’a communiqué ensuite, par le rayonnement personnel, à des millions d’hommes, par des contacts directs de conscience, de cœur et d’âme. Cette propagation crée une communion, une communauté, une synthèse d’énergies sociales catalysée par le verset Coranique, lui-même transformé, dans la conscience d’El-Bannâ en une étincelle jaillie directement du ciel, qui embrase les énergies et secoue les torpeurs, comme, jadis, à l’époque de la Révélation. »

 

 

Par Malek Bennabi

1 Comment

  1. Salam aleykoum
    Un milliards de musulman et un seul homme qui a tout bouleversé .Comme quoi en islam comme dans tout,c’est la qualité et pas la quantité qui compte

Écrire un commentaire