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Prisons égyptiennes: Au cœur de l’arsenal répressif

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Le 23 septembre, le président Abdel Fattah al-Sissi graciait une centaine de prisonniers politiques. Certains auraient pu y voir un «signe d’apaisement» en direction de la population égyptienne et de la communauté internationale. Cependant, le jour-même, Amr Ali, leader du mouvement de la Jeunesse du 6 avril ayant appelé au soulèvement contre Moubarak, était porté disparu, enlevé par les forces de sécurité.

Selon les rapports, depuis le renversement du président Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, ce sont plus de 40.000 Egyptiens qui ont été arrêtés. A l’origine de ce qu’Amnesty International a appelé la «Génération prison» se trouve un arsenal de pratiques et méthodes souvent illégales, tant au regard de la loi égyptienne que du droit international visant à étouffer toute forme d’opposition.

L’une d’entre elles est la détention préventive. 700 personnes sont aujourd’hui détenues depuis plus de deux ans, sans charges ni jugement, dans le cadre de cette procédure. La détention préventive vise essentiellement à épuiser moralement les détenus et leur famille qui sont maintenus dans l’espoir d’une libération à chaque passage devant le juge. Nombre de détenus expliquent qu’ils préféreraient encore être jugés, pour ne plus vivre avec cet espoir et la déception qui l’accompagne à chaque fois.

Cependant, les procès, à l’image des arrestations, sont politiques et ressemblent plus à des parodies où les droits de la défense sont foulés au pied et les condamnations souvent disproportionnées, voire extrêmes.

Ainsi, ces deux dernières années, des centaines de personnes, dont l’ancien président Mohamed Morsi, ont été condamnées à mort, parfois dans le cadre d’un seul et même procès, de masse. A noter qu’une partie des procès ont lieu dans des tribunaux militaires, la nouvelle Constitution égyptienne autorisant la justice militaire à juger des civils.
Détenus et condamnés, tous doivent faire face à des conditions de détention difficiles voire même, dans certains cas, inhumaines. Les prisons étant surchargées, des camps militaires ont vu certains de leurs bâtiments, pourtant inadaptés, reconvertis en prisons à l’exemple du camp militaire «du kilomètre 10», à la périphérie du Caire. Les commissariats de police sont eux aussi surchargés, parfois volontairement, visant là encore à briser psychologiquement les détenus.

Haitham Mohamadeen, militant et avocat des droits de l’homme, décrit ainsi la technique du «balata» (signifiant «dalle» en arabe) et qui consiste à attribuer à chaque détenu l’une des dalles (environ 30x30cm) d’une cellule de quelques mètres carrés où ils se retrouvent ainsi à plusieurs dizaines, contraints de rester debout, parfois pendant des jours.

2800 cas de torture 

Des rapports d’ONG ont dénoncé récemment un retour frappant des cas de torture sous Sissi, alors que le soulèvement populaire du 25 janvier (Journée de la police) s’était créé initialement contre le ministère de l’Intérieur et ses pratiques peu orthodoxes. Ces rapports dénombraient ainsi plus de 2.800 cas de torture et plus de 280 détenus tués.

Pour le seul mois d’août, l’Organisation arabe pour les droits de l’Homme a relevé, dans un rapport intitulé Le cimetière des vivants, le cas de 40 détenus morts dont 6 de torture, 20 de négligence médicale, 13 de suffocation dans des cellules surchargées et 1 d’empoisonnement. Sur 40, 19 étaient détenus sans charges.

Les ONG dénoncent également les disparitions forcées dont le nombre ne cesse de croître lui aussi. Au cours des deux mois derniers seulement, l’Initiative égyptienne pour les droits et libertés dénombre 215 cas de disparitions forcées. Ceux qui sont enlevés réapparaissent généralement après plusieurs jours, voire plusieurs semaines, dans un des lieux de détention.

C’est ce qui est arrivé à Amr Ali. Enlevé le 23 septembre au soir dans la région de Menoufia, à 80 kilomètres du Caire, où il rendait visite à sa famille, il était retrouvé à la prison de Torah une semaine plus tard, le gouvernement acceptant enfin de communiquer sur son sort. Amr Ali avait succédé à Ahmed Maher à la tête du mouvement du 6 avril, après l’arrestation et la condamnation d’Ahmed Maher à plusieurs années de prison pour sa participation à une manifestation pacifique. Sous la pression des forces de sécurité, Amr avait été licencié par ses employeurs successifs et contraint déjà, au début de l’été, de se mettre sous couvert, craignant une arrestation.

Aujourd’hui, ils sont des dizaines à être toujours portés disparus. Par le passé, des corps ont été découverts sans vie, souvent avec des signes apparents de torture, comme celui de l’étudiant Islam Atito, emmené par des policiers à la sortie d’un examen à l’université et dont on retrouvait le corps le soir même, criblé de balles. Dans ces cas-là, difficile de distinguer les disparitions forcées d’une autre méthode elle aussi utilisée par le régime, celle des assassinats extrajudiciaires.

Qualifié de «stratégie de la terreur» par les Nations unies, le recours aux disparitions forcées ainsi que l’ensemble des méthodes mentionnées qui visent non seulement des activistes politiques, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des étudiants mais aussi des gens ordinaires, (ré)instaurent un sentiment d’insécurité généralisé dans un Etat de non-droit.

Cela est rendu possible par une série de décrets liberticides imposés ces deux dernières années en l’absence de Parlement et renforçant les prérogatives des forces de sécurité d’un Etat policier et autoritaire, le tout sous couvert de lutte anti-terroriste. Depuis novembre 2013, un décret criminalise les manifestations, permettant l’arrestation de tout groupe ou rassemblement de plus de 10 personnes manifestant sans autorisation, ainsi que l’usage excessif de la force, y compris celle pouvant entraîner la mort, à l’encontre de manifestants pacifiques.

Et, depuis août dernier, une nouvelle «loi anti-terroriste» légalise un état de fait: le renouvellement de la détention provisoire indéfiniment.

Par ailleurs, et comme Amnesty International l’a dénoncé dans un rapport, la définition de ce qui constitue un acte terroriste est très approximative et autorise les autorités à détenir les critiques pacifiques du gouvernement, y compris des journalistes, sur des bases assez vagues. Une loi interdit en outre tout reportage indépendant en imposant de lourdes amendes aux journalistes qui publieraient, à propos d’attaques terroristes, des informations ou des statistiques qui diffèreraient de celles annoncées par l’Etat.

Il semblerait que le président Abdel Fattah al-Sissi ne compte pas s’arrêter là. Il déclarait en août: «Jusqu’à maintenant, nous n’avons pris aucune mesure exceptionnelle. Les mains de la justice sont enchaînées par des lois, mais nous allons amender les lois pour réaliser la justice dès que possible.»

Les mains de la justice sont bel et bien enchaînées non par des lois, mais par l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire. Alors que des sentences ne cessent d’enfermer et de condamner à mort l’opposition, les dirigeants de l’ancien régime, Moubarak en tête, ont généralement été acquittés et/ou relâchés et aucun membre des forces de sécurité n’a été poursuivi à ce jour pour le meurtre de centaines de manifestants au cours de ces dernières années.

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