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Quand les massacres d’hier cachent ceux d’aujourd’hui

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Il y a vingt ans, en 1994, le Rwanda plongeait dans l’horreur. Les médias et la presse ont relayé la commémoration de ce drame, en relevant les incohérences de l’action de l’Unamir, les troupes des Nations Unies postées au Rwanda.

Malgré une recrudescence visible de la violence, aucun contingent de casques bleus ne fut déployé de façon efficace afin de protéger les Tutsi et les Hutu modérés du terrible carnage qui s’est ensuivi : pendant cent jours, le régime hutu a pu sans retenue massacrer 800 000 victimes, dans des conditions épouvantables.

Il est possible aujourd’hui  de relever l’immense responsabilité du Département des opérations de maintien de la paix, dirigé alors par Kofi Annan, qui n’a pas jugé bon d’intervenir à temps. La responsabilité, aussi, de la France, qui « cultivait ses rapports avec le régime hutu, lui fournissait des armes, formait ses soldats et entraînait ses milices »[1].

Or, il semble bien que l’histoire se répète et que nul n’ait l’obligation de retenir ses leçons.  Nous venons d’apprendre que le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé l’envoi de 12000 soldats en République centrafricaine, mais en septembre prochain, c’est-à-dire dans cinq mois ! Cela, alors que les tueries ont commencé en décembre dernier, faisant déjà 2000 morts. Nous savons par ailleurs qu’une partie de la population musulmane a été désarmée par les soldats français, puis livrée aux milices qui n’ont de chrétien que le nom. L’arrivée des troupes de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) et de la force française Sangaris, loin d’apaiser les tensions, contribue à leur recrudescence.

L’archevêque Dieudonné Nzapalainga, cité par le Journal de Bangui, a remarqué que si la décision de l’ONU est positive, « le nettoyage ethnique se poursuit et des milliers de personnes risquent encore de perdre la vie, puisque la force onusienne ne sera déployée qu’en septembre. » En visite à Bangui, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a lancé « un appel à éviter un nouveau génocide en Afrique, vingt ans après le Rwanda, dénonçant une « épuration ethnoreligieuse » contre les musulmans. »[2]

Que signifie donc cette prise de décision de l’ONU ? A-t-on déjà oublié qu’en à peine plus de trois mois, 800 000 hommes, femmes et enfants avaient été massacrés, soit cinq morts à la minute ?

On a vraiment l’impression que cette organisation fonctionne à l’envers. Tout comme une certaine presse qui évoque avec force la mémoire d’un drame, tout en relativisant celui qui se déroule en temps réel. Comment ne pas voir clairement, en effet, que si un tel délai est donné pour intervenir sur le terrain, alors même que les violences s’intensifient, cela constitue une invitation à achever le plus tôt possible l’épuration en question ?

Hani Ramadan
Première parution ici


[1] (Bartholomäus Grill, 1994, Quand le Rwanda plonge dans l’horreur, Der Spiegel, traduction Gian Pozzy, L’Hebdo, 10 avril 2014)

[2] (Gustavo Kuhn, L’ONU envoie douze mille soldats…en septembreTribune de Genève, 12-13 avril 2014).

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