Le Coran et ses sciences

Tafsir de la sourate « Al-Fajr » (l’Aube)

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La trame de la sourate

Cette sourate est une invitation à la piété à travers la réflexion, la purification et l’adoration.

Par le biais de l’exhortation, elle nous avertit des conséquences néfastes qui découleraient d’actes similaires aux peuples qui nous ont précédés.

Puis, elle nous incite à l’introspection, dans le but de purifier nos âmes, en nous démarquant d’un type d’individus trop attachés aux biens de ce monde.

Ainsi, le retour inéluctable vers notre Seigneur nous impose une morale particulière et une forte crainte du Jour du Jugement dernier.

La logique interne de la sourate repose donc sur trois axes :

  • Appel à l’adoration, stimulée par le rappel de la punition infligée aux peuples renégats ;
  • Appel à la purification de la pensée et de l’âme qui aboutit à une présence constante de l’au-delà  dans l’esprit du croyant ;
  • Atteinte de l’étape finale : le repos spirituel.

Nous pouvons également répartir la sourate en quatre paragraphes bien distincts :

  • Le premier, du verset 1 au verset 5, contient une invitation à l’adoration à des moments privilégiés ;
  • Le second, du verset 6 au verset 14, constitue un rappel historique, qui a pour objet de donner un sens à notre vie, en tirant des leçons de ce qui est advenu des civilisations révolues ;
  • Le troisième, du verset 15 au verset 20, est une analyse de la psychologie de l’homme et de son comportement égoïste et égocentrique ;
  • Le quatrième, du verset 21 au verset 30, nous rappelle le devenir de tout un chacun : l’anéantissement de ce monde et de l’Homme, le jour du Jugement Dernier avec les délices du Paradis et les souffrances de l’Enfer.
Explication par verset

Le premier paragraphe est essentiellement axé autour du problème primordial de l’adoration et de ses conséquences positives.

Celui qui ne répond pas à l’invitation de Dieu connaîtra le même devenir que les peuples maudits cités dans ce paragraphe.

L’absence d’adoration est souvent synonyme de perversion et d’injustice, qui aboutissent eux-mêmes à la destruction totale. Dieu est présent, Il ne laisse pas les criminels impunis.

Verset 1 : Par l’aube !

Dieu, exalté soit-Il, jure par un moment privilégié du jour, le fajr, durant lequel les élus tendent la main vers Dieu, qui les a invités à implorer Son pardon et Sa miséricorde, tandis que la majorité est plongée dans un sommeil profond. La prière d’al-Fajr distingue le bon grain de l’ivraie, les hypocrites des véritables croyants à l’âme apaisée par le dhikr de l’aube.

Lorsque Dieu jure par une chose ou par un moment, c’est pour attirer notre attention. La routine nous fait souvent oublier les moments forts de chaque jour. Celui qui restera distrait à cette heure bénite est bien à plaindre.

Le Prophète, que la paix soit sur lui, nous indique la récompense de la prière d’al-Fajr : « Les deux génuflexions (raka’at) d’al-Fajr valent plus que la vie d’ici bas et tout ce qui s’y trouve. »[2]

‘Othman ibn ‘Affan (rad) rapporte que l’Envoyé de Dieu (saws) a dit : « Celui qui accomplira la prière de l’Icha en groupe sera récompensé comme s’il avait prié la moitié de la nuit. Celui qui accomplira la prière d’al-Fajr en groupe sera récompensé comme s’il avait prié toute la nuit. »[3]

Verset 2 : Par les dix nuits.

Ce sont les dix premières nuits du mois de Dhoul-Hajja[4], considérées comme sacrées par la tradition. ‘Abdullah ibn ‘Abbas (rad) rapporte de l’Envoyé de Dieu (saws) les paroles suivantes:

« Il n’y a pas de jours où les bonnes actions ont le plus de valeur aux yeux de Dieu, si ce n’est les dix premiers jours du mois de Dhoul-Hijja.

« On répliqua : même pas le combat pour Dieu, Ô Envoyé de Dieu ?

« Même pas le Jihad dit-il, sauf si une personne quitte sa demeure dans l’intention de sacrifier ses biens et sa personne pour Dieu, et que cela se réalise. »

Ainsi, est-il recommandé au croyant de redoubler d’efforts dans l’adoration durant cette décade du mois sacré, celui du pèlerinage, qui renferme deux jours de grande valeur : le neuvième jour, appelé ‘Arafa et le dixième, qui est celui du sacrifice.

Verset 3 : Par le pair et l’impair.

Ibn Kathir rapporte différentes interprétations de ce verset. En voici quelques-unes :

  • Al-witr, (l’impair) serait le jour de ‘Arafa (le 9ème jour de Dhoul-Hijja). Et, Ach-chaf’ (le pair) serait le jour du sacrifice (le 10ème jour du mois) ; ceci, d’après ibn ‘Abbas, Ikrima et Adahak.
  • Al-Witr est le Créateur, exalté soit-Il, Dieu est Unique, Il est le Seul, Il n’a pas de pair.

Le Prophète (saws) a dit : « Dieu a 99 attributs, 100 moins un, celui qui les aura assimilés entrera au Paradis. Il est le Witr et aime le Witr (la prière). »

Le Chaf’ serait, d’après ibn ‘Abbas et Mojahid, les créatures de Dieu.

  • D’après al-Hassan al-Basri, Dieu jure par les chiffres : les pairs et les impairs.

Ach-chaf ’ signifie les prières dont le nombre de raka’at est pair et al-Witr, celles dont le nombre est impair.

Sayyid Qotb[5], dans son Dhilal, voit dans ce jurement une invitation à l’adoration aux premières heures du jour comme de la nuit.

Verset 4 : Et par la nuit quand elle s’en va.

La nuit s’écoule dans le calme depuis le début des temps, obéissant ainsi à son Créateur.

Mériam Herzog met en évidence l’importance des moments forts de la vie de toute personne. Voici ses propos : « Tous ces moments représentent peut-être des occasions où il est recommandé de prier, parce que le cœur du croyant est plus disposé à comprendre ce que Dieu veut de lui (du croyant). Nous gardons chacun le souvenir d’instants privilégiés, où Il nous a éclairés sur la marche de notre vie, nous aidant à choisir les projets qui en valaient la peine. N’est-ce pas souvent dans le silence de l’aube ou de la nuit qu’apparaît plus nettement le sens des événements, et que mûrissent les décisions qui engagent l’avenir, les promesses que l’on se fait à soi-même ? Il n’est donc pas bon que nous soyons fatigués au point de ne plus pouvoir nous concentrer sur ces prières de l’aube ou de la nuit. Car nous manquons alors des moments importants, où Dieu Lui-même aurait eu quelque chose à nous dire. Apprenons, en particulier dans la précipitation généralisée de la civilisation urbaine, à sauvegarder l’hygiène mentale du recueillement, concrétisée par ce rythme quotidien des prières aux deux portes de la journée… » [6]

Le véritable croyant est celui qui ne manque pas une occasion d’affirmer sa foi à travers une adoration intime et sincère. L’Homme ne peut prétendre à la sérénité de l’esprit sans un recueillement régulier et une intimité privilégiée avec son Créateur. Cette conception spirituelle doit prendre une place importante, voire même essentielle dans la vie du musulman.

Verset 5 : N’est-ce pas là un serment, pour un doué d’intelligence ?

En effet, seuls ceux qui réfléchissent et écoutent avec attention la Parole divine, peuvent comprendre la portée de ces serments. Ils s’arrêtent de jour comme de nuit sur les signes de Dieu pour les méditer. Ils prennent le temps de se recueillir en prière à heure fixe, et exploitent les moments forts, cités dans la sourate (l’aube, la nuit, les dix jours de Dhoul-Hajja, le jour de ‘Arafat et du sacrifice, les heures de prières). Lorsque Dieu jure, les intelligents ouvrent leur cœur et comprennent le poids et le sens de la parole divine.

Il arrive que nous soyons trompés par les apparences de nos actes. Ainsi, notre engagement peut révéler des intentions plus ou moins négatives. Les préoccupations matérielles au quotidien et l’engagement associatif ne doivent donc pas nous détourner de l’essentiel : al-‘ibadat (l’adoration). Sans cela, nous serions comparables à des fonctionnaires programmés pour la réalisation de certaines tâches. La valeur de nos actes serait alors dénuée de la dimension divine que nous devons prendre en compte.

L’activisme ne doit pas devenir un mouvement de masse que seules les forces internes et externes motivent. Il doit plutôt prendre sa source dans ce qu’il y a de plus secret et de plus cher en nous : la sincérité et la foi.

Pour que cela se concrétise, la pratique assidue devient une obligation. Rien ne doit la remettre en cause. Si cela arrivait, nous tomberions dans la même dérive que les peuples maudits : l’adoration de soi et le despotisme (flambeau de Pharaon) ou le despotisme et l’immoralité (comme l’ont pratiquée ‘Aad et Thamoud).

Deuxième paragraphe :

Verset 6 : N’as-tu pas vu comment ton Seigneur a agi avec les ‘Aad ?
Verset 7 : la tribu d’Iram aux pieux,
Verset 8 : telle qu’il n’en fut jamais de pareille au monde.

Il s’agit, ici, du peuple du prophète Houd (Paix sur lui). Les ‘Aad étaient réputés pour leur très haute stature et leur force physique. Ils étaient un peuple nomade. Ils vivaient dans des tentes soutenues par des pieux (dat al-‘Imad) au sud de l’Arabie, dans une région appelée al-Ahqaf, entre le Yémen et Hadramawte. Leur ancêtre se nommait Iram. Ils n’avaient pas de pairs à leur époque.

Cet exemple révèle qu’aucun bouclier humain ne pourrait résister au courroux divin. La piété et les bonnes actions sont les seules garanties contre la malédiction divine. Leur puissance et leur hégémonie ne leur ont été d’aucun secours lorsque la colère de Dieu s’est abattue sur eux.

Verset 9 : Et avec les Thamoud, qui taillaient la roche dans la vallée.

Dieu évoque un nouvel exemple à travers le peuple du prophète Salih (Paix sur lui). Les Thamoud vivaient dans des grottes taillées au flanc des montagnes, en Arabie du Nord (al-Hijr). De nos jours, subsistent encore d’importantes ruines, vestiges de ces peuplades maudites, détruites par un cri terrible, qui ne laissa personne vivant sauf Salih et ceux qui, avec lui, avaient cru.

Verset 10 : Et avec Pharaon, l’homme aux épieux.

Ibn ‘Abbas (rad) interprète ce verset comme suit : Pharaon est l’homme aux armées qui fait souffrir les gens, en les ligotant à des pieux.

Le docteur Salah-ad-din Kechrid donne une interprétation différente, qui rejoint celle d’autres exégètes, mettant l’accent sur un aspect différent de la puissante administration pharaonique. Il dit, dans sa traduction du Saint Coran : « Mais nous préférons, pour notre part, parler des «montagnes » faites par Pharaon, c’est-à-dire les pyramides. Ce signe est plus distinctif par rapport à Pharaon, car tous les rois disposent d’une forte administration, et ce n’est pas un signe particulier de Pharaon, comme le sont par contre les pyramides (Dieu est plus savant). » [7]:

Il reste important de constater que ces gens (les ‘Aad, les Thamoud et Pharaon) avaient deux caractéristiques en commun : la première consiste en un haut degré de développement matériel, et des moyens de domination performants, qui leur ont permis de dominer les autres pendant longtemps, si bien qu’ils avaient oublié les capacités illimitées de Dieu, le Tout Puissant. La seconde était leur propension à semer la corruption et le désordre.

Verset 11 : tous, étaient des gens qui transgressaient dans leur pays,
Verset 12 : et y installaient la corruption en abondance.

Il est indéniable que leur investissement dans le progrès, la recherche ont engendré des prouesses dans la réalisation de nouvelles techniques. Néanmoins, il faut aussi constater le cuisant échec subi dans la tentative de la réalisation d’une société saine, dépourvue d’injustice et d’immoralité.

Une civilisation n’est considérée comme glorieuse que lorsqu’elle se bâtit sur des valeurs humaines. Le génocide de peuples, l’asservissement de certaines catégories humaines, l’acculturation des populations entières, l’appauvrissement et le dépouillement d’une partie de la planète par des groupes qui se veulent civilisés parce qu’à la pointe de la technologie, sont des crimes impardonnables qui n’échappent pas à la conscience humaine, et surtout pas à Dieu.

Certes, Dieu laisse agir l’injuste mais ne l’oublie pas, ni ne l’ignore. Il se laisse le soin d’intervenir quand Il l’aura décidé, et ce jour sera bien dur pour les injustes.

Les lois du déclin des civilisations s’appliquent à toutes les communautés. Les groupes musulmans n’y échappent pas. Dieu, dans son impartialité, assujettit toutes les sociétés aux mêmes règles. Les sociétés, qui appliquent le principe de justice et encouragent le développement scientifique, se verront récompensées par la réussite.

Mais, dès que la dépravation morale s’installe et que l’engouement pour la science diminue, la décadence supplante la croissance.

Ibn Taymiya disait fort justement : « Dieu est avec un peuple juste, fut-il mécréant, tandis qu’Il condamne le groupe musulman quand il s’adonne à l’injustice. »

Les différentes dynasties musulmanes ont subi les effets de ces principes immuables. Prenons pour exemple la dynastie abbasside. Fondée en 132 de l’Hégire par un dénommé Assafah, cette dynastie a connu un développement extraordinaire dans tous les domaines, aussi bien religieux, que culturel, scientifique, militaire, etc.

Après le Calife al-Moutawakil en 247, la décadence s’est amorcée. Nous passons d’une période où l’ordre et la justice régnaient de manière générale, à une autre où la corruption et l’injustice sont devenus les maîtres mots.

Le fouet de Dieu s’est alors abattu sur la communauté musulmane avec les Croisades, les invasions mongoles, les guerres fratricides, les calamités naturelles, et bien d’autres malheurs encore.

Verset 13 : Ainsi, ton Seigneur fit pleuvoir sur eux le fouet du châtiment.
Verset 14 : Certes ton Seigneur est aux aguets.

Nous devons méditer sur la profondeur de cette vérité. Notre Seigneur est à l’affût, rien ne lui échappe. Nous avons tendance à croire que personne ne nous voit lorsque nous commettons nos exactions. Nous commettons l’injustice au grand jour, et nous nous endormons la nuit en toute incurie.

Nous oublions, dans notre criminelle insouciance, que l’opprimé reste éveillé et invoque Dieu contre notre malignité. Le croyant ne peut qu’être apaisé à la lecture de ce dernier verset. Il sait désormais que Dieu est présent. Il est juste, Il agit avec sagesse. Il venge l’opprimé comme il se doit et récompense plus qu’il ne faut.

Nous devons voir derrière chaque malheur qui frappe un individu ou un groupe la main de Dieu. Ce malheur peut être soit la conséquence de nos pêchés, soit une épreuve. Dans les deux cas, le but est de nous purifier.

L’injustice doit être considérée comme un grand pêché qu’il faut absolument éviter. Une femme n’est-elle pas entrée en Enfer pour avoir tué un chat ?

Le da’i (prédicateur) intelligent est celui qui sait tirer des leçons du passé pour mieux agir et analyser le présent, et enfin pour éclairer l’avenir. Sa connaissance historique ne doit pas être négligeable.

Troisième paragraphe :

Après avoir évoqué, dans le second paragraphe, les caractéristiques des peuples dépourvus de toute dimension spirituelle et morale, le troisième paragraphe recentre la réflexion autour de l’individu.

Celui qui n’aura pas évolué dans la crainte de Dieu, aura, pour critère essentiel de réussite, la richesse matérielle. Quelles sont les faiblesses de l’Homme ? Qu’est-ce qui le pousse à l’aveuglement spirituel ?

Verset 15 : Lorsque Dieu éprouve l’homme en étant généreux avec lui et en le comblant de bienfaits, il dit : «  Dieu m’a ennobli » !

Dieu nous éprouve par le bonheur et le bien-être. Ainsi, Il donne au croyant et au mécréant, non pas parce qu’ils ont la même valeur à Ses yeux, mais plutôt pour les mettre devant leur responsabilité et faire apparaître au grand jour leurs réactions. Le croyant qui aura réussi, sera celui qui aura su faire preuve de reconnaissance et aura fait largesse de ses biens.

Très certainement, connaîtra l’échec l’individu qui croyait ne pas avoir de comptes à rendre à Dieu. Dans son égarement, il a oublié qu’il sera questionné sur sa gestion des dons divins.

L’exemple de Coré est, à cet égard, significatif. Coré[8] prétendait à une certaine supériorité face à Moussa, paix sur lui, le Prophète démuni. Cependant, Dieu l’a englouti dans les profondeurs de la Terre, malgré toutes ses richesses. Si la richesse devait être le signe de la noblesse, alors où placer le prophète Ayyoub, qui a reçu toutes les faveurs divines ici-bas, comme dans l’au-delà ?

Verset 16 : Par contre, lorsque Dieu éprouve l’homme en lui restreignant sa portion, celui-ci dit : «  Mon Seigneur m’a avili ! »

On ne peut, ni ne doit, considérer la pauvreté comme un signe d’avilissement ; elle est une épreuve comme la richesse. Dieu dit : « et Nous vous éprouverons de tentation, en mal et en bien. Et vers Nous vous serez ramenés. »[9]

Dans la sourate le Pèlerinage, Dieu fait allusion à deux types d’individus : celui qui, lorsqu’un bien le touche, adore Dieu, mais lorsqu’un mal l’effleure, il se rebelle.

Dans l’aisance, nous devons nous montrer reconnaissants à l’instar de Solayman (paix sur Lui) et ne pas nous croire particulièrement honoré de Dieu.

De même, dans la pauvreté nous devons endurer avec patience comme le Prophète Mohammad (r) et ne pas considérer l’indigence comme une marque d’humiliation de la part de notre Seigneur.

Le croyant est ainsi persuadé que Dieu donne à celui qu’Il aime et à celui qu’Il déteste ; de même qu’Il prive Ses élus et Ses déchus. Le plus important reste la réaction finale de l’un comme de l’autre.

Il nous appartient donc de revoir notre approche superficielle du bonheur et du malheur. Notre analyse est, malheureusement, souvent trop limitée, partielle et égoïste. Il vaut mieux laisser Dieu agir à notre place en restant conforme à Sa volonté dans toutes les situations.

Celui qui n’abordera pas la question du bonheur et du malheur sous l’angle de la foi et de la loi, s’égarera spontanément, comme le confirment les versets suivants.

Verset 17 : Non, c’est vous, plutôt, qui n’êtes pas généreux envers les orphelins;

Ceux qui ont une analyse fausse des notions de bonheur et de malheur, de l’épreuve dans le bien et le mal, se montrent rarement désireux de faire preuve de générosité envers l’orphelin. Or, ce geste est pire que leurs propos précédents. Comment font-ils pour rester aveugles et sourds aux cris de ces déshérités ? Ils craignent sans doute de s’appauvrir s’ils faisaient largesse dans ce domaine.

Verset 18 : qui ne vous incitez pas entre vous à donner à manger aux miséreux !

Ne pas nourrir l’affamé est un crime, tout comme celui de ne pas inciter les gens à le nourrir. Le musulman doit mener une action dans la société afin d’arriver à une réelle prise en charge des démunis.

Il nous incombe, donc, de faire de la publicité pour tout projet à caractère humanitaire émanant d’une association qui a gagné notre confiance. Le croyant ne doit pas se montrer neutre, ou faire montre d’indifférence. Il doit agir en fonction de ses moyens. Le minimum dont il doit s’acquitter consiste à l’incitation à nourrir les pauvres.

Mais, que faire avec des individus à l’appétit insatiable d’argent ? Vont-ils le dépenser pour la face de Dieu en nourrissant l’affamé et en honorant l’orphelin ?

L’argent, à leur sens, n’a plus d’odeur. Peu importe son origine, pourvu que l’amas soit le plus important possible. Il est important de nous rappeler que, dans la société mecquoise pré-islamique, ni les femmes ni les enfants n’avaient droit à l’héritage.

Nous comprenons mieux pourquoi l’Islam choqua les notables de la Mecque. Tout, dans cette nouvelle religion bouleversait leur vision intéressée de la vie. Se déshériter au profit d’une femme ou d’un enfant était inconcevable.

Verset 20 : qui aimez l’argent d’un amour sans fin !

L’amour éperdu d’argent demeure l’une des grandes faiblesses de l’Homme. Ce verset condamne le matérialisme sans borne, qui contamine les individus, et les mène à leur perte.

Des pans de la population mondiale sont sacrifiés de nos jours pour qu’une minorité puisse jouir à outrance des richesses de la planète. Il reste indéniable que, lorsque nous oublions Dieu, nous nous oublions nous-mêmes, ne jetant même plus un regard vers autrui.

Ka’ab ibn ‘Iyad rapporte que l’Envoyé de Dieu (saws) a dit : «  Toute communauté a connu une fitna (épreuve) particulière, celle de ma communauté sera dans l’argent. »[10]

Abu Horaïra (rad) rapporte de l’Envoyé de Dieu (saws): «  L’amour débordant de l’argent et l’ostentation font plus de dégâts dans la religion du croyant, que deux loups affamés dans un troupeau laissé à l’abandon. »[11]

‘Amr ibn ‘Awf al-Ançari rapporte que l’envoyé de Dieu (saws) lui a dit : « Par Dieu, ce n’est pas la pauvreté que je crains pour vous. Je crains plutôt que ce monde (la dounia) ne vous soit offert comme il l’a été à ceux qui vous ont précédés, que vous ne vous le disputiez comme ils se le sont disputés et qu’il ne cause votre perte comme il a causé la leur. »[12]

Al-Moustawrid ibn Chaddad rapporte que l’envoyé de Dieu (saws) a dit : « En comparaison avec le monde de l’au-delà, ce monde est semblable à ce que l’un d’entre vous pourrait enlever à la mer après y avoir plongé son doigt. Qu’il considère donc ce qu’il en retire ! »[13]

Abu Houraïra (rad) rapporte de l’envoyé de Dieu (saws) : « Que périsse le serviteur du dinar et du dirham (de l’argent), du velours et de la soie (de la mode) : Il ne se montre satisfait que si on lui en donne. »[14]

Ibn ‘Abbas (rad), Sahl ibn Sa’ad (rad) rapportent : « Un homme vint trouver le Prophète (saws) et lui dit : O envoyé de Dieu, indique-moi une œuvre qui, si je l’accomplis, me fera aimer de Dieu et des Hommes. » Le Prophète (saws) répondit : « Renonce à ce monde et Dieu t’aimera, ne convoite pas ce que possèdent les Hommes et les Hommes t’aimeront. »[15]

‘Obaïd Allah ibn Mihsan (rad) rapporte que l’envoyé de Dieu (saws) a dit : « Quiconque se sent en sécurité chez lui, est en bonne santé et possède de quoi se nourrir pour la journée en cours, possède ce monde et tout ce qu’il contient. »[16]

Abu Mohammad Fadala ibn ‘Obaïda (rad) rapporte ces propos de l’envoyé de Dieu (saws) : « Bienheureux celui qui est devenu musulman auquel il a été accordé le nécessaire et qui s’est contenté de son sort. »[17]

En conclusion, voici le hadith rapporté par Abu Houraïra (rad) qui résume la philosophie de l’Islam en matière d’argent : « Le Prophète (saws) a dit : « La richesse ne consiste pas à posséder beaucoup d’argent, la richesse véritable est celle de l’âme. »[18]

L’amour prohibé de la richesse se résume à la gestion néfaste des biens. Le hadith rapporté par ‘Abd-ar-Rahman ibn ‘Awf (rad) résume parfaitement les dangers de ce sentiment aveugle. D’après l’Envoyé de Dieu (saws), le diable a dit : « J’ai tendu trois pièges à ceux qui sont attirés par l’argent :

– je ferais tout pour qu’ils le gagnent de manière illicite,

– qu’ils le dépensent de façon illégale,

– et qu’ils l’aiment éperdument, si bien qu’ils en priveront les nécessiteux. »

Telles sont donc les faiblesses de l’Homme qui le poussent à l’erreur :

  • l’absence de réflexion qui mène à l’adoration ;
  • la tyrannie et la corruption ;
  • l’approche philosophique faussée des notions de richesse et de pauvreté ;
  • l’absence de générosité envers l’orphelin et le pauvre ;
  • l’amour éperdu des biens.

En conclusion de ce paragraphe, nous pouvons affirmer que l’être humain, qui ne sait pas interpréter les actes divins comme il se doit, s’égare et finit par avoir un comportement erroné. Ne comprenant pas pourquoi Dieu prive certains et octroie à d’autres, il se libère de la tutelle de la religion pour se soumettre à ses passions.

L’amour de l’argent remplace celui de Dieu dans son cœur ; il n’a pas de pitié pour les déshérités et commet des injustices.

La Révélation devient, de ce fait, une nécessité incontournable. C’est elle qui nous apporte la solution : pour ne pas s’engouffrer dans les richesses terrestres, il faut viser l’au-delà. C’est ce que nous enseigne le paragraphe suivant.

Quatrième paragraphe :

L’Homme est composé de deux natures différentes : le corps, en relation avec le monde terrestre, et l’âme, en relation avec le monde céleste. Il est donc en conflit permanent avec lui-même lorsque sa conscience est éveillée.

Le paragraphe précédent nous a décrit celui qui s’est livré à ses passions et a préféré avoir pour guide le diable. A présent que nous connaissons les dangers, nous allons évoquer les remèdes : la pensée de l’au-delà et la purification de l’âme pour atteindre le stade de l’âme apaisée.

Verset 21 : Prenez garde ! Quand la terre sera complètement pulvérisée,

Tous nos biens, nos objets précieux que nous préservons, la Terre et ce qu’elle contient voleront en poussière ce jour-là. Le jour où Dieu décidera de rappeler Pharaon, les Thamoud, les ‘Aad et autres peuplades du passé, d’aujourd’hui et de demain vers Lui pour la rétribution finale.

Le jour où la Terre sera plane, où nous ne trouverons plus de montagnes derrière lesquelles nous pourrions nous cacher, ni de crevasses pour nous y engouffrer. Seule restera la place où le public sera invité à se tenir debout, sous le soleil brûlant. Un jour terrible et effrayant qui poussera les Elus à demander pitié au Maître de l’Univers. Malheur aux déchus !

Verset 22 : et que Ton Seigneur viendra avec les anges, rang par rang.

Des anges viendront pour assister au Jugement, aux règlements de comptes et à la Rétribution. Ils encercleront les Djinns et les Hommes, qui n’auront d’autre projet que la fuite.

Quel échec ce jour-là pour ceux qui ont aimé l’argent sans borne aucune, qui ont opprimé leurs semblables, et n’ont pas incité au bien. Vous voilà devant le Roi des rois.

Nous devrons donner des explications, prendre notre propre défense, mais la vérité que nous avons omise de regarder en face sera présente, imperturbable.

Verset 23 : et que ce jour là, la Géhenne sera amenée, l’homme se rappellera. Mais à quoi bon le rappel ?

Face à l’Enfer, l’Homme ne peut que regretter son passé. Il se souvient que, sur Terre, il avait eu la possibilité de se racheter. Les regrets ne lui seront plus d’aucune utilité.

Dieu dit : « Ne nous avons-Nous pas donné assez d’âge, où pouvait se rappeler celui qui aurait pu se rappeler ? L’avertisseur cependant vous était venu ! » [19]

Confrontés à cet avenir certain, nous devons agir pour notre propre salut avant qu’il ne soit trop tard.

Ibn Mas’oud rapporte que l’Envoyé de Dieu (saws) a dit : « L’Enfer sera attelé à 70 000 cordes, chaque corde tirée par 70 000 anges. » (rapporté par Muslim )

Il faut que nous agissions, en ayant conscience du cri de la Géhenne appelant son combustible: « Quand elle les aperçoit d’un endroit éloigné, ils lui entendent un bouillonnement de colère et des soupirs. » [20]

Tous les plaisirs terrestres seront oubliés ce jour-là. La vérité sortira de la bouche même des renégats, qui prenaient un malin plaisir à débiter des mensonges lorsqu’ils se croyaient hors de tout danger.

Verset 24 : Il dira : « Hélas ! Que n’ai-je fait du bien pour ma vie future ! »

Ce verset souligne le caractère irréversible des décisions de Dieu sur la marche des événements. Les regrets viennent souvent trop tard et il n’est plus possible de revenir en arrière. D’ailleurs, sommes-nous si sûrs que cela servirait ? L’injuste et le menteur sont parfaitement capables de retomber dans leurs vices qui les ont amenés à leur perdition.

« Et s’ils étaient rendus à la vie terrestre, ils reviendraient sûrement à ce qu’on leur avait défendu et ils sont vraiment des menteurs. » [21]

Il n’existe pas d’autre alternative avec cette catégorie d’individus, si ce n’est l’application absolue et définitive de la justice.

Verset 25 : Ce jour là nul ne châtiera aussi sévèrement que Dieu.

Dieu les avait avertis sur Terre, cependant, ils prirent en dérision le message des Prophètes. Ils châtiaient les innocents, persuadés que personne d’autre ne les égalait en force.

Dieu dit des ‘Aad : «‘Aad, de leur côté, se prirent sur Terre pour des grands, en s’appuyant sur toute autre chose que la vérité et le bon droit. Ils dirent : « Qui donc est plus fort que nous ? » Ne voient-ils pas que Dieu qui les a créés, est, Lui, plus fort qu’eux ? Ils ne faisaient que renier Nos signes. » [22]

Verset 26 : Et nul n’enchaînera aussi solidement que Lui.

Sur Terre, les tortionnaires enchaînent les innocents puis les torturent sans pitié. De même il leur sera fait ce jour-là. Mais, pouvons-nous comparer la punition divine avec celle de l’Homme ? Les chaînes de ce bas-monde sont-elles identiques à celles de l’au-delà ? Lisons ceci pour apporter une réponse à nos questions: « Quant à celui qui aura reçu son livret dans sa main gauche, il dira : «Comme j’aurais bien voulu ne jamais recevoir mon livret, et ne jamais savoir ce que sera mon jugement. Comme j’aurais bien aimé que ma première mort fût la définitive ! A quoi m’ont servi mes biens? Mon autorité s’est évanouie loin de moi. » Saisissez-le et enchaînez-le. Puis jetez-le dans la Fournaise ardente. Puis ligotez-le avec une chaîne longue de soixante-dix coudées. Il ne croyait pas à Dieu le Très-Grand. Il n’incitait pas à nourrir le miséreux. Il n’a aujourd’hui ici aucun ami pour le protéger. »[23]

Tel sera le devenir de tous ceux qui auront transgressé les enseignements divins, qui n’auront pas fait respecter la justice sur Terre, ni fait preuve de largesse à l’égard des miséreux. Pourtant, il n’est jamais trop tard pour bien faire afin de reposer en paix.

La sourate touche à sa fin avec quatre versets qui mettent en évidence le devenir des élus.

Verset 27 : Ô toi, âme apaisée,
Verset 28 : retourne vers Ton Seigneur, satisfaite et agréée ;
Verset 29 : entre donc parmi Mes serviteurs,
Verset 30 : et entre dans Mon Paradis.

Mériam Herzog conclue ainsi: « Quant à celui qui plaçait confiance en Dieu, une fois pour toutes, et qui s’est efforcé de vivre comme il lui était demandé, il n’a rien à craindre. Les derniers versets (27 à 30) resplendissent de paix intérieure, cadeau suprême de la Miséricorde divine. C’est l’invitation merveilleuse à retourner définitivement auprès du Maître, là où il n’y aura plus qu’harmonie et bénédiction, où «tu seras satisfait de Lui et Lui satisfait de toi. »

C’est l’accueil chaleureux parmi les hôtes du Paradis, parmi tous ceux qui ont su mettre leur vie au service de l’Absolu.

N’est-ce pas là l’issue la plus heureuse dont nous puissions rêver ? » [24]

La sourate, dans sa totalité, est une invitation permanente à la crainte de Dieu, à la patience dans l’indigence, la reconnaissance dans l’aisance, à nourrir l’affamé et nourrir l’orphelin, à consommer le licite et respecter les droits d’autrui, à aimer l’argent modérément et purifier son âme pour atteindre le degré de sérénité souhaitable ; de même, elle nous avertit des conséquences de nos fautes sur Terre et dans l’au-delà.

Autrement dit, nous aurons appris à mieux connaître notre Seigneur pour mieux vivre sur Terre, en paix avec nous-mêmes et notre entourage.

Résumé et enseignements

Concernant notre rapport avec Dieu :

  • Il y a des moments propices de jour comme de nuit pour adorer Dieu.
  • Le croyant doit consulter le calendrier religieux pour ne pas rater les moments forts de l’année.
  • La nuit est une aubaine pour le croyant soucieux de se retrouver seul avec son Créateur, loin du regard des gens.
  • La réflexion mène à la bonne compréhension, qui débouche sur la pratique saine.
  • L’âme apaisée est celle qui a su s’élever à travers la réflexion et l’adoration.
  • L’épreuve peut se trouver dans le bien comme dans le mal, ce qui importe reste notre capacité à adorer Dieu dans toutes les circonstances.
  • Le musulman est invité à étudier l’histoire et le vécu des peuples et des sociétés passés et présents, pour tirer des leçons de ce qui advient des rebelles à Dieu.
  • Dieu est Le Meilleur des justiciers. Il laisse faire parfois, mais ne laisse jamais impunis les despotes.

Concernant notre rapport avec les autres :

  • Une civilisation qui sacrifie des valeurs fondamentales, comme la tolérance, la justice, ou encore l’égalité au profit de réalisations grandioses est vouée à l’échec.
  • Le riche n’a pas plus de valeur que le pauvre, de même que le pauvre n’est pas à l’abri de l’échec spirituel.
  • Rejeter l’orphelin et l’ignorer est un grand péché. La meilleure des demeures est celle où se trouve un orphelin comblé.
  • L’amour excessif des biens de ce bas-monde aveugle les cœurs et obstrue la raison.
  • Se pencher sur les malheurs qui pourraient nous frapper dans l’au-delà, reste le remède essentiel à l’oubli qui nous plonge dans le matérialisme.
  • Le regret ne nous sera d’aucune utilité le Jour du Jugement. Exploitons notre temps de notre vivant avant qu’il ne soit trop tard.

Concernant la Da’wa :

  • La communauté musulmane doit être solidaire ; chaque individu est responsable, celui qui ne peut pas faire l’aumône doit inciter les autres à la faire.
  • La piété n’est pas un degré de foi qui pousse un individu à se refermer sur lui-même et s’écarte de la communauté. L’engagement social est obligatoire.
  • L’engagement ne doit pas nous faire oublier les pratiques rituelles qui sont le moteur de nos actions.
  • L’être humain a tendance à regretter le passé, multipliant les «ah, si j’avais su, j’aurais fait… ». Le regret ne sera d’aucune utilité le jour de la Résurrection.

Tafsir rédigé par le département éducatif de JMF en 1997

[2] An-Nawawi, Les jardins des vertueux, d’après ‘Aïcha.

[3] Ibid.

[4] D’après le calendrier musulman, il y a quatre mois sacré durant lesquelles il nous est demandé d’adorer Dieu avec plus d’intensité : ce sont les mois de Dhoul- Qa’da, Dhoul- Hajja, Moharram et Rajab.

[5] Grand idéologue des Frères Musulmans, condamné à mort en 1965 par Nasser en Egypte. Il a rédigé bon nombre d’ouvrages longtemps considérés comme « dangereux » par ses détracteurs. Son Tafsir « A l’ombre du Coran » est un chef-d’œuvre.

[6] Paroles du Coran pour aujourd’hui, page 237.

[7] page 806, note 5.

[8] Contemporain de Moïse qui rivalisait avec celui-ci, fort de son pouvoir et de ses richesses. « Puisque Dieu m’a donné la richesse, c’est qu’Il m’aime », faisait-il croire.

[9] Sourate Les Prophètes, verset11.

[10] Rapporté par Tirmidhi, voir al-Mounetaqa d’al-Qaradawi, Tome II, p.844.

[11] Ibid.

[12] Imam an-Nawawi, Les jardins de la piété, traduction de D. Pérot et J.J Thibon, p.362.

[13] Ibid. p. 362.

[14] Ibid. p.366.

[15] Ibid. p. 368.

[16] Ibid. p. 390.

[17] Ibid.

[18] Ibid. p. 402.

[19] Sourate Fakir, verset 37

[20] Sourate al-Forqan, verset 12.

[21] Sourate les bestiaux, verset 28, traduction Kechrid, page 166.

[22] Sourate 41, al-Focilat, verset 15.

[23] Sourate al-Haqa, versets 25 à 35.

[24] Meriam-Herzog Tourki, Paroles du Coran, p 246

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