Lors de la conférence que j’ai donné à l’Université américaine en Egypte quelques années avant la révolution, invité par Mohamed Hassanein Heikal qui était assis, à l’époque, à mes côtés, je dis :
Dans son ensemble, l’Egypte est composée de deux institutions profondément enracinées : l’armée et les frères musulmans. Les autres suivent soit l’une ou l’autre.
Dans cette conférence, je dis expressément que si les frères musulmans arrivaient au pouvoir par une révolution ou par n’importe quel autre moyen, ils subiront une guerre féroce de la part d’une armée impliquée jusqu’au cou dans les affaires politiques d’une manière indirecte ou invisible …
Après la conférence, Heikal m’interrogea en disant :
Penses-tu que l’armée permettrait aux frères musulmans d’accéder au pouvoir pour découvrir l’extraordinaire accumulation de corruption et se livrer d’elle-même aux frères musulmans ?!
Je lui dis : Ceci est envisageable à l’aide d’une révolution au cours de laquelle des milliers d’âmes se sacrifieront pour purifier l’institution de l’armée, et si cette institution est purifiée, tout le pays évoluera vers un avenir clairvoyant.
Heikal sourit alors d’un sourire moqueur en disant : Quel est ce peuple dont tu me parles qui sacrifierait des milliers d’âmes pour purifier l’état et l’armée ?
Je souris à mon tour en me moquant de lui.
Il y a quelque jours, je le contactai par téléphone en lui disant : « Heikal, voici le peuple, mon ami, qui est en train de se révolter contre l’armée sacrifiant des milliers pour sa liberté et sa dignité, alors que toi, tu es en train de soutenir l’armée dont tu me disais qu’elle était un navire qui vogue dans océan de corruption… »
Mais, il me raccrocha au nez et désactiva tous les numéros que je connaissais.
Mais, puisque tu sais, mon ami, que je suis têtu, je m’adresse à toi en te disant : « Sois courageux et reconnais que tu m’as dit que l’armée doit s’écarter de la politique pour se consacrer à son principal ennemi et laisser le pouvoir à n’importe quel gouvernement ne serait-ce un gouvernement islamiste. Reconnais m’avoir dit que seul un gouvernement islamique serait à même à contraindre le monde d’accepter une nouvelle Egypte, mais la plupart des libéraux et les journalistes contrôlent les machines sensibles de l’état.
Tu n’es pas courageux, sinon, pourquoi as-tu tourné le dos à tes principes en soutenant l’armée et en te rangeant du côté de celui dont tu es persuadé qu’il a tort.
Rallume ton téléphone, te rappeler à nouveau ne me fait pas honneur.
Le masque est tombé du visage de Heikal. Heikal que je respectais n’est plus.
Des libres du temps des esclaves.
Seymour Hersh
Washington post
