Comprendre l'Islam

Comprendre les hadiths à la lumière du développement des sciences modernes

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Je me permets d’ajouter ici une règle que je pense indispensable pour bien comprendre la Sunna : comprendre les hadiths à la lumière du développement des sciences modernes. Il ne s’agit point d’une invention de ma part. Les savants font allusion à cette règle pour illustrer le changement de « fatwa » en fonction du changement de connaissances.

En effet, nous avons, aujourd’hui, à notre disposition des connaissances que les savants anciens n’avaient pas. Ils ont donc fondé leurs jugements sur les connaissances dont ils disposaient à leur époque.

S’ils disposaient des connaissances que nous disposons maintenant, ils auraient certainement changé certains de leurs avis. De même, si nous étions à leur place et vivions à leur époque, nous aurions partagé leurs jugements. Il n’est pas facile pour l’être humain de se prononcer sur un cas en abstraction de son espace et de son temps. L’avis juridique est étroitement lié au contexte.

La durée maximale de grossesse

Prenons par exemple la durée maximale de la grossesse comme elle est exposée dans les ouvrages de droit musulman.

Pour certains juristes « fouqha » la durée maximale de la grossesse est d’un an. Ceci est l’avis de Mohamed ibn ‘Abd al-Hakam (m 268H). C’est également l’avis adopté par Averroès.

Selon Abou Hanifa, la durée maximale de grossesse est fixée à deux ans. Les hanafites se réfèrent au hadith dans lequel ‘Aïsha, que Dieu l’agrée, dit : « la femme  ne peut dépasser une période de grossesse de plus de deux ans » (rapporté par al-Bayhaqi).

On amena un jour une femme enceinte alors que son mari était absent depuis deux ans. ‘Omar envisagea alors de lui appliquer la peine légale. C’est alors que Mou’adh ibn Jabal lui dit : « Ô Commandeur des croyants, si tu as un pouvoir sur elle, tu n’en a aucun sur ce qu’il y a dans son ventre » ‘Omar la laissa alors jusqu’à ce qu’elle accoucha d’un enfant qui avait deux incisives. Quand il constata la ressemblance de l’enfant avec son père il dit : « Les femmes sont incapables d’enfanter  quelqu’un comme Mou’adh ibn Jabal, sans Mou’adh, ‘Omar serait perdu » (rapporté par ‘Abd ar-Razzaq dans son mousnad)

Pour la majorité (les shafi’ites, les hanbalites, et selon l’avis prédominant chez les malikites), cette durée est de quatre ans. Al-Walid ibn Mouslim dit : Je dis à Malik : « je relate des propos d’après ‘Aïsha selon lesquels elle que la femme ne peut pas dépasser deux ans de grossesse » Il dit : « Gloire à Dieu, qui dirait une chose pareille ? Notre voisine, l’épouse de Mohamed ibn ‘Ajlan, qui est une femme digne de confiance, ainsi que son mari, a été enceinte trois fois en douze ans, des grossesses de quatre ans » (rapporté par al-Bayhaqi)

Selon les dhahirites Daoud et Ibn Hazm, la durée maximale de grossesse est de neuf mois car les récits évoqués ne sont pas authentiques.

En réalité, il n’existe aucun texte authentique évoquant la durée maximale de grossesse. Les juristes ont formulé leurs avis sur la seule base de l’observation et des témoignages.

A supposer que le hadith de ‘Aïsha soit authentique, que signifie-t-il,

Pour certains, il s’agit d’un e hadith « mawqouf » (parole attribuée au compagnon) qui le statut d’une information remontant au Prophète (saws) « marfou’ », car il s’agit du domaine de ce qui n’est pas intelligible, elle l’a donc forcément entendu du Prophète (saws).

Mais cette conclusion est discutable car c’est une question qui relève du domaine de la réflexion, c’est d’ailleurs, pour cette raison que les avis divergent à ce sujet. ‘Aïsha a fondé son avis sur des témoignages qu’elle a pu entendre autour d’elle. Affirmer qu’elle l’ait entendu du Prophète (saws) est une prétention qui n’est fondée sur aucun argument.

C’est pourquoi l’imam Malik a mis en cause ce qui attribué à ‘Aïsha, se basant lui-même sur ders témoignages.

L’imam Malik est excusable car il a cru cette femme, puisqu’elle est digne de confiance, et la femme est également excusable car elle croyait véritablement être enceinte alors qu’elle ne l’était pas vraiment. C’est ce qui est connu de nos jours sous le nom de « grossesse nerveuse ».

La grossesse nerveuse est un phénomène psychique qui touche certaines femmes. Persuadées d’attendre un enfant, elles présentent tous les symptômes semblables à ceux d’une grossesse : absence de règles, nausées, prise de poids, maux de ventre. Mais en réalité elles ne sont absolument pas enceintes.

Il se peut donc que cette femme ait connu des grossesses nerveuses à répétition, puis soit tombée réellement enceinte. Elle pensait donc être enceinte depuis l’apparition des premiers symptômes de la grossesse (nerveuse), comptant ainsi la durée globale comme étant la durée de sa grossesse. Elle a accouché après deux ans, trois ou quatre ans et les gens l’ont cru et cette femme ne mentait pas car elle était persuadée à tort d’attendre un enfant pendant toute cette période. En réalité, la grossesse a duré neuf mois, le reste relevait de la grossesse nerveuse.

Comment un juriste de l’époque aurait pur penser autrement en entendant ce genre de récit de femmes dignes de confiance ?!

Quel l’intérêt de la détermination de la durée maximale de la grossesse ? Cela permet d’établir ou pas la paternité après un divorce ou suite à un décès. Si l’homme divorce de sa femme, d’une façon révocable ou irrévocable, ou s’il décède, ou en cas d’annulation du contrat de mariage (faskh) et que la femme accouche d’un enfant après un délai excédant la durée maximale de grossesse, la paternité ne peut être établie.

J’ai lu le site islamweb une fatwa répondant à la question suivante : une femme a accouché d’une enfant après le décès de son mari, sachant qu’elle ne s’est pas remariée. L’enfant sera-t-il affilié à son père ?

La réponse fut étonnante : si la femme a accouché deux ans après, l’enfant est affilié à son époux qui l’a répudié ou qui est décédé si elle ne s’est pas mariée avec un autre homme. Ceci fait l’objet d’un accord de toutes les écoles suivies !

Voici un exemple d’aberration provoquée par la non-considération du développement des sciences modernes.

La détermination du début des mois lunaires

Autre exemple très significatif : la détermination du début des mois lunaires. Doit-on déterminer le début des mois lunaires, en particulier du mois de Ramadan, sur la seule base de la constatation visuelle de la nouvelle lune? Ou peut-on avoir recours au calcul astronomique ?

Certains enthousiastes rejettent farouchement l’idée d’utiliser le calcul astronomique pour déterminer le début du mois de Ramadan. Nous avons déjà traité cette question dans la cinquième règle : Faire la distinction entre le moyen susceptible de changer. Nous allons aborder le sujet ici sous un autre angle.

Les opposants à l’utilisation du calcul astronomique avancent que certains juristes ont évoqué l’existence d’un consensus interdisant le recours au calcul astronomique pour déterminer le début des mois lunaires et affirmant que la constatation visuelle de la nouvelle lune est le seul moyen légal pour déterminer le début du mois de Ramadan, et si les nuages empêchent cette vision, alors compléter le mois de Sha’ban à trente jours[1].

D’autre part, certains juristes évoquent la divergence à ce sujet, bien qu’ils affirment que la majorité ne permet pas de se référer au calcul astronomique pour déterminer le début du mois du Ramadan que le ciel soit dégagé ou pas. La plupart des juristes évoquent cette différence en commentant les propos du Prophète (saws) : « estimez-la (la nouvelle lune) » tiré du hadith : « Le mois est composé de vingt-neuf jours. Ne jeunez pas avant d’avoir vu la nouvelle lune, et ne rompez pas le jeûne avant de l’avoir vu à nouveau. Si elle vous est cachée par les nuages, alors estimez-la »[2]. Certains ont étudié la question de la permission ou pas de se référer au calcul astronomique si le nuage est couvert empêchant la vison de la nouvelle lune. Ils mentionnent à ce sujet l’avis de Mouttarrif ibn Abdoullah ash-Shikhkhir, parmi les « tabi’ines », qui autorise le recours au calcul astronomique si la vision est cachée par les nuages considérant que « estimez-la » signifie l’utilisation du calcul.

D’autres ont étudié la question de la permission de recourir au calcul pour déterminer le début des mois d’une manière générale et non seulement si le ciel est couvert de nuages.

En effet, Ibn ‘Abidin[3] évoque trois avis à ce sujet :

– Il n’y pas de mal à se référer à ce que disent les astrologues « mounajjimoun »

– On se réfère à ce qu’ils disent si un groupe parmi eux s’accordent à ce sujet.

– Il est interdit de se référer à ce qu’ils disent.

An-Nawawi[4] évoque cinq avis concernant le fait de se référer au calcul pour déterminer le début du mois du jeûne :

– Le résultat du calcul n’engage ni le calculateur, ni l’astrologue ni les autres, mais il leur est permis à eux deux de jeûner, contrairement aux autres, mais leur jeûne ne les dispense pas du jeûnes obligatoire.

– Il est permis à eux deux jeûner et le jeûne leur suffit.

– Ceci est permis pour le calculateur mais pas pour l’astrologue.

– Ceci est permis pour eux deux, et il est permis aux autres de les suivre.

– Ceci est permis pour eux deux, et il est permis de suivre le calculateur mais pas l’astrologue.

Quand à l’imam shafi’ite as-Soubki[5], il estime que si le calcul astronomique confirme l’impossibilité de la vision de la nouvelle lune et que deux témoins attestent de l’avoir vu, on ne doit pas accepter leur témoignage, car le calcul est catégorique et le témoignage est relatif.

Al-Qarafi dit qu’il existe une divergence à ce sujet chez les malikites et les shafi’ites, mais l’avis prédominant dans les deux écoles est l’interdiction de se référer au calcul.

Pas de consensus à ce sujet

En conclusion, tous ces avis appartenant à des références  notoires des trois écoles malikites, shafi’ites et hanafites nous indiquent que ces trois écoles ne s’opposent pas catégoriquement au principe d’utilisation du calcul même s’ils divergent sur son domaine d’application : est-il limité à la réfutation, exclu comme moyen de détermination ? Ou intervient-il dans les deux cas ? Est-il utilisable uniquement lorsque le ciel est couvert de nuages ou peut-on l’utiliser même si le ciel est dégagé ?  se référer au calcul astronomique pour déterminer le début du mois de Ramadan est-il obligatoire ou seulement permis ? Engage-t-il tout le monde ou uniquement le calculateur ?

Seules les hanbalites rejettent rigoureusement le recours au calcul astronomique pour les déterminer le début des mois lunaires.

Ces avis, et bien d’autres, nous indiquent aussi qu’il n’y a pas de consensus « ijma’ » à ce sujet au sens défini par la science des fondements du droit musulman qui ferait de la prescription une prescription catégorique non sujette à la divergence. Ce sujet accepte donc l’étude, le débat et la réflexion, d’autant plus que l’astronomie s’est considérablement développée de nos jours et a gagné en précision.

Pour justifier l’interdiction de recourir au calcul astronomique pour déterminer le début des mois lunaires, certains évoquent l’avis de la majorité de savants. Mais, de quelle majorité s’agit-il réellement ? Il s’agit de la majorité des anciens savants. Or, l’avis de la majorité de ces savants n’est uniquement fondé sur le texte. Il est influencé également par le contexte. La preuve est que les savants anciens qui refusaient l’utilisation du calcul astronomique pour déterminer le début des mois lunaires justifiaient leur avis en disant que le calcul était conjectural, une branche de l’astrologie, en plus de ne pas être à la portée de tout le monde. C’est dans ce sens qu’Ibn Taymiya dit à propos de ce calcul : « Le calcul est sujet à l’erreur et comprend beaucoup de difficulté sans intérêt. Or, la vision de la nouvelle lune est plus claire et plus manifeste que le calcul »[6]. Ceci était vrai à l’époque, mais ce qu’avance Ibn Taymiya, influencé par son contexte, n’est plus vrai aujourd’hui. En effet, l’astronomie est aujourd’hui une science exacte et le calcul astronomique est catégorique et précis avec une erreur négligeable, alors que la probabilité d’erreur est beaucoup plus importante dans la constatation visuelle. Par ailleurs, la connaissance de l’astronomie ne présente plus de difficulté. Elle est enseignée dans les universités, ses informations sont à la portée de tout le monde et elle présente un grand intérêt dans différents domaines. La vision de la nouvelle lune n’est plus désormais meilleure que le calcul astronomique comme ce fut le cas jadis.

Ainsi, l’avis de la majorité des savants anciens est fondé sur les connaissances de l’époque. Le calcul astronomique dont ils ont parlé n’est pas le calcul astronomique que nous connaissons aujourd’hui. On ne peut donc se servir de l’argument de « la majorité » pour discréditer l’avis permettant la détermination du début des mois lunaires sur la base du calcul astronomique.

Moncef Zenati

 


[1] – voir « souboul as-salam » de as-San’ani (1/125), « bidayat al-moujtahid » d’Ibn Rushd (1/283), « al-fatawa » d’Ibn Taymiya (25/132) et « al-fourouq » (al-farq 102) d’al-Qarafi (2/298)

[2] – rapporté par al-Boukhari et Mouslim

[3] – dans « rasa-il » Ibn ‘Abidin (1/246)

[4] – « al-majmou’ » d’an-Nawawi (6/309)

[5] – « fataw as-Soubki » (1/208)

[6] – « majoumou’ al-fatawa » d’Ibn Taymiya (25/165)

3 Comments

  1. Merci encore au professeur Moncef Zenati pour le travail qu’il fournit.

  2. C’est ce qui fait de l’islam une religion universelle , baraka allah hou fikoum pour cet article

  3. abd el badii Reply

    Les musulmans oublient trop souvent que la fatiha est le résumé du Coran qui est lui-même le résumé du livre explicite qui contient toute la science de l’univers, science dite profane et science dite religieuse deux notions qui n’ont pas de sens en fait car il n’y a qu’une seule Science. Créée par Dieu. Par ailleurs, les hadiths sont le résultat d’une compilation rigoureuse mais due à l’intelligence collective de la communauté musulmane de l’époque et non pas à une révélation divine. Tout ce qui est humain est partiel, même bien guidé. En conséquence, toute découverte scientifique prouvée infirme tout argumentaire sur la Sunna ou le Coran qui ne serait pas compatible avec cette découverte. Le Coran nous incite à demander l’aide de Dieu pour progresser dans la science par pour stagner et régresser dans le littéralisme. Avoir peur de la Science, c’est avoir peur de Dieu et donc avoir une foi très faible. Le monde est mouvement perpétuel et révolutions perpétuelles, ce que Allah a voulu.

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