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De l’Islam de France à l’Islam tout court ?

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De l'Islam de France à l'Islam tout court ?

 

J’avais toujours, aux cotés d’autres musulmans de France, utilisé la formule « Islam de France ». Je crains  aujourd’hui,  que cette formule ne soit désuète, et un pur effet d’annonce sans réelle signification, ou du moins sans contenu clairement défini. Une catégorisation à l’intérieur de l’Islam qui, des siècles durant, a su traverser tant de péripéties et s’installer dans toutes les régions du monde, sans jamais être rattaché à l’une d’elles.

Une formule par laquelle des musulmans éclairés entendent, certes, l’adoption de pratiques et de principes musulmans fondés, et intelligemment adaptés à leur contexte, puisque l’Islam se vit nécessairement dans un contexte précis et se pratique par des musulmans de leur époque et de leur milieu.

Cependant, cette formule permet aussi au musulman impuissant ou servile, de renoncer lâchement à son droit à l’indifférence et à la liberté de pratiquer, et promet au politique crispé par la visibilité de l’Islam, la dénaturation de celui-ci, avec l’ultime objectif de le rendre invisible…

Il est donc compréhensible qu’un musulman qui voit dans sa religion une foi, une assise solide pour vivre ici-bas et l’au-delà, considère que toute limitation« géographique » ou culturelle de l’Islam ne fait qu’en réduire l’horizon historique large et l’étendue transnationale.

L’Islam, au-delà des adaptations contextuelles touchant à sa pratique, est d’abord une foi, une philosophie de vie, une morale capable de prendre corps dans tous les contextes. C’est dans la lecture que les erreurs se commettent.

Aussi, la lecture dont on ne peut aujourd’hui faire abstraction c’est celle qui prône un retour à la pureté du message originel, qui consacre maladroitement la pureté même d’une époque de l’histoire de l’Islam, arguant de la parole prophétique où il rend hommage aux musulmans pionniers, et oubliant que le prophète Mohammed « Paix sur lui » a aussi salué les musulmans d’aujourd’hui tant qu’ils ne bradent pas les idéaux universels que leur religion leur enseigne. Cette tendance qui cherche à revenir à l’authenticité des débuts de l’Islam, se propage souvent auprès d’une jeunesse qui porte les stigmates d’une société moderne où sévissent, individualisme, hypocrisie et matérialisme. Selon cette vision, une société aussi souillée ne peut compter en son sein des « savants » capables de divulguer la « bonne parole ». Celle-ci est obligatoirement hérétique voire hypocrite. La solution ? C’est de se couper des codes de cette société, sinon la quitter physiquement pour s’installer dans un ailleurs plus pur et plus garant de l’authenticité. C’est cette lecture qui a considéré hérétique, des années durant, la participation aux processus démocratiques dans les pays arabes, mais qui a du renoncer à l’observation de ce « péché » lorsque les révolutions arabes se sont déclenchées…Et bien qu’elle se réclame des sources, cette école opère un tri sélectif dans les références musulmanes pour ne favoriser que des textes sortis de leurs contextes historiques, pour servir une vision préconçue.

Une seconde lecture, quant à elle, réduit la foi musulmane à un engagement spirituel déconnecté de la société. Cet engagement ne cherche ni à promouvoir les valeurs de l’Islam, ni à combattre les dictatures et les injustices, mais seulement à « purifier » le cœur, loin de toute considération de ce qu’exige l’ancrage dans la société et l’interaction avec les autres…

Aussi, la pratique à minima, dans le cadre de ce qui est aujourd’hui appelé « charia des minorités »,  repose selon certains, sur une idée prise pour argent comptant ; les français seraient incapables de vivre sereinement et d’accepter la visibilité de l’Islam. Cette société ne peut s’intégrer à la nouvelle donne qu’est la présence musulmane, c’est donc aux musulmans de s’accommoder, quitte à se désintégrer… En témoignent les nombreux sondages, et les problèmes où des musulmans sont « impliqués ». Aucune étude n’étaye cette « vérité », rien non plus n’est dit sur le parti-pris et les manipulations éhontées de politiques et de médias qui réservent un traitement plus que biaisé à l’Islam….

D’aucuns passent allégrement de la fondation d’une « charia des minorités » à une minoration de la visibilité des musulmans, quitte à ce que le prix en soit de désinscrire telle ou telle pratique de l’éventail des pratiques religieuses musulmanes…Comme si l’effort de compréhension mutuelle n’incombe qu’aux musulmans, quant aux décideurs politiques et aux acteurs des médias qui usent des moyens coercitifs et de discours anxiogènes de tous genres au mépris des libertés fondamentales, nul grief pour eux…L’Islam étant définitivement exogène!

Le courage consistant pour certains à amputer cette religion de ses attributs. La défense de certaines pratiques musulmanes, bien que « religieusement » fondées,  en devient un  archaïsme, dont il faut soigner les adeptes… A l’opposé, le courage est justement de proclamer la liberté, étant donné que celle-ci ne peut être invoquée que lorsqu’une certaine visibilité peine à se manifester…

Du coup, l’on est en droit de se demander en parlant d' »Islam de France » : quelle France ? La fille aînée de l’église que d’aucuns ne cessent de rappeler au point d’en faire un déterminant immuable de l’identité nationale, ou la France-sortie de l’hégémonie de l’église grâce à la laïcité qui a mis les religieux à l’écart de toute gestion de « la chose publique » ?

Ou encore « la France des libertés », dont certains veulent qu’elle devienne liberticide à l’endroit de la visibilité des musulmans ?

Je refuse que ce label « islam de France» devienne un faire valoir à des responsables souvent autoproclamés loin d’être reconnus par leurs coreligionnaires, pour s’assurer une notabilité imméritée.

Je ne supporte plus que des responsables « politiques » ou « religieux » agissent avec mépris vis-à-vis d’une communauté musulmane digne. Il raisonne encore dans ma tête la prétention de ces responsables religieux saluant la dignité des musulmans lors des derniers évènements et surtout leur « appel » au calme qui aurait trouvé un écho. Comme si les musulmans de France, dans leur immense majorité ne sont que des irascibles fervents, dont il faut calmer les ardeurs par un « appel » de responsables, surtout lorsqu’ils sont absents des mosquées. ..

Aussi, est-il impératif de promouvoir l’Islam sans qualificatif, ni adjuvant. Sans être « de France »,  cette religion n’a jamais fait abstraction de son contexte. Sans être affublée de « modérée », cette religion a toujours en son sein les ingrédients de la souplesse et de l’adaptation. Sans être de France, la sagesse de l’Islam suffit à ce que les mosquées soient ouvertes à l’Autre pour l’échange et dans le respect mutuel. Sans être de France, l’Islam interdit toute atteinte à l’âme humaine. Sans être de France, l’Islam consacre l’importance de la famille, la primauté des considérations éthiques et morales, le respect des libertés, la promotion du respect et de la responsabilité,…

Notre engagement ne peut être limité, en se référant à notre religion, à notre sphère franco-française. Nos concitoyens ne cesseront de nous interroger sur ce qui se passe dans le monde dit « musulman », et on ne peut faire semblant d’y être insensibles. Nous sommes touchés par ce qui se passe ailleurs, d’aucuns parmi nous, musulmans de France, ont applaudi le succès des partis islamiques suite aux révolutions arabes, et les musulmans, partout dans le monde attendent que nous les rassurions quant à la compatibilité de leur religion avec les exigences de la modernité, et sa capacité à y contribuer…Il suffit de le faire au grand jour. Peut-on continuer à s’arc-bouter sur un « islam de France » dans un monde de plus en plus mondialisé? Je ne le pense pas…

En France ou ailleurs, les teneurs d’une lecture de l’Islam déconnectée du contexte, d’un rapport à l’autre excommuniant, ou d’un discours fataliste poussant au renfermement sur soi, ne sont pas les maîtres à penser de l’écrasante majorité des musulmans.

Le débat doit d’abord être encouragé entre les musulmans eux-mêmes sans besoin d’un facilitateur, ni d’un censeur majeur. C’est aux musulmans d’adopter la lecture qu’ils souhaitent de leur propre religion. Et pour vivre celle-ci, la recette n’a pas changé des siècles durant : Un socle de principes et de pratiques immuables, sauf par ceux qui nient les évidences, et des aménagements que dicte la réalité vécue. C’est intrinsèque à la religion musulmane et c’est partout valable, même en France…

Hassan SAFOUI

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