Comprendre l'Islam

La poly-interprétation des textes (Les facteurs d’adaptabilité et de flexibilité de la shari’a)

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Les facteurs d’adaptabilité et de flexibilité de la shari’a : Troisième facteur : la poly-interprétation des textes

La plupart des textes du Coran et de la Sunna traitant de question subsidiaires furent élaborés de manière à supporter plusieurs interprétations et compréhensions. Ce qui contribua, avec les deux premiers facteurs, à l’apparition des différentes écoles de pensées relatives au droit musulman.

Il n’est pas étonnant qu’il y ait au sein du droit musulman « fiqh » la place pour l’intransigeance d’Ibn ‘Omar et pour la souplesse d’Ibn ‘Abbas, la place pour un adepte du raisonnement par analogie comme Abou Hanifa, pour un traditionniste comme Ahmed et pour un littéraliste comme Daoud ! Ainsi, avons-nous vu l’apparition de l’école de la rationalité, l’école du hadith ainsi que les adeptes du littéralisme, les finalistes et ceux qui se situent entre les deux.

Exemple du Coran

Dieu dit dans le verset évoquant les ablutions: « … passez les mains humides sur la tête … »[1]

  •  Pour les imams Malik et Ahmed, il s’agit de la totalité de la tête.
  • Pour Abou Hanifa et ash-Shafi’i, il s’agit d’une partie. Environ le quart pour Abou Hanifa, et quelques cheveux au début de la tête, pour ash-Shafi’i.

La cause de cette divergence d’opinion réside dans les différents sens qu’on peut donner à la lette arabe « ba » mentionnée dans le verset « bi-rou-ousikoum ». Chaque sens entraînant un avis différent mais tout autant valable.

Notons que l’avis des shafi’ites peut s’avérer très pratique dans notre contexte, en particulier pour les femmes, en voyage ou se trouvant à des endroits où elles ne peuvent ôter leurs « hijabs ». Il leur suffit alors de passer les mains humides sur quelques cheveux à partir de l’extrémité du front, puis de les passer sur le « hijab ».

Exemple de la Sunna

Abou Daoud, atTirmidhi, an-Nasa-y et Ibn Majah rapportent d’après Anas : « Les prix ont excessivement augmentés à l’époque du Prophète (saws), les gens lui demandèrent alors : « ô Messager d’Allah, fixe nous les prix (tarification) », le Messager d’Allah (saws) répondit : « C’est Allah qui le fait, C’est Lui qui restreint ou étend (Ses faveurs) et c’est Lui qui assure la subsistance. Et j’espère rencontrer mon Seigneur sans aucune injustice commise envers quiconque ni dans ses biens ni dans sa vie »

Ahmed et Abou Daoud rapportent qu’Abou Hourayra (rad) dit : « Un homme vint au Prophète (saws) et dit : « Ô Messager de Dieu ! Fixe les prix ! » Il dit : « Implore plutôt Dieu ». Un autre vint et dit : « Ô Messager de Dieu ! Fixe les prix ! » Il dit : « C’est Dieu qui baisse et élève » »

Les textes interdisent donc la tarification d’une manière formelle. La tarification consiste à ce que le représentant de l’autorité fixe les prix de certaines marchandises de manière à interdire de pratiquer à la vente des prix supérieurs ou inférieurs aux tarifs fixés.

Les textes prophétiques indiquent que la législation musulmane, en matière de commerce, laisse la liberté à la loi du marché et soumet les prix des marchandises à ces lois conformément à l’offre et à la demande.

A travers ces textes, le Messager de Dieu (saws) déclare que le fait d’intervenir sans raison dans la liberté des individus : producteurs, commerçants et consommateurs, est une forme d’injustice dont il ne souhaite pas endosser la responsabilité devant Dieu le Jour de la Résurrection.

A partir de là, un grand nombre de jurisconsultes « fouqaha » estiment, en se référant à ces hadiths, que la tarification est interdite, considérant celle-ci comme une injustice. Ash-Shawkani attribut cet avis à la majorité des savants.

La cause de cette interdiction, comme l’explique ash-Shawkani dans « nayl al-awtar » est que les gens sont maîtres de leurs biens et la tarification est une restriction qui leur est imposée. Or, le représentant de l’autorité se doit d’être attentif aux intérêts des musulmans, et sa considération de l’intérêt de l’acheteur en baissant le prix n’est pas plus légitime que sa considération de l’intérêt du vendeur en élevant le prix. Si les deux intérêts s’opposent, il est nécessaire de laisser le choix aux deux. Contraindre le propriétaire de la marchandise à vendre à un prix qu’il n’agrée pas contredit le verset : « Mais qu’il y ait du négoce entre vous par consentement mutuel » (Les femmes : 29)

Malgré cet avis intransigeant interdisant la tarification, les malikites permettent la tarification en ce qui concerne les choses mesurables par le volume ou par le poids, qu’il s’agisse de nourriture ou pas.

Un avis au sein de l’école shafi’ite permet la tarification en cas d’inflation.

D’autres savants (les zeydites) permettent la tarification en ce qui concerne toutes les marchandises à l’exception des aliments de base de l’être humain et des animaux.

Ash-Shawkani réfutent tous ces avis et accorde la prévalence à l’avis interdisant la tarification étant donné que les hadiths relatés à ce sujets ont une portée générale et indéterminée. Aussi, toute spécification ou détermination exige un argument, or, cet argument n’existe pas !

Néanmoins, quiconque médite ces hadiths constate qu’ils évoquent le cas d’une augmentation naturelle des prix et non d’une augmentation causée par l’accaparation des marchandises, par une manipulation des prix, par la transgression des commerçants ou par un complot des producteurs ou des vendeurs en vue d’exploiter les consommateurs.

D’ailleurs, ceux qui se sont plaints parmi les compagnons ont dit : les prix ont fortement augmentés. Ils ne se sont pas plaints de la manipulation des commerçants pour que le Prophète (saws) intervienne afin de mettre un terme à cette injustice.

En plus, la réponse du Prophète (saws) laisse entendre ceci puisqu’il dit : « Implore plutôt Dieu ». En effet, si l’inflation était causée par la transgression et l’injustice des commerçants, le Prophète (saws) aurait tout fait pour l’empêcher en application du principe du commandement du bien et l’interdiction du mal et par devoir de responsabilité « Chacun d’entre vous est un berger, et chacun d’entre vous est  responsable de son troupeau ». Mais étant donné qu’il s’agit ici d’une chose imposée par le destin, il ne lui appartient que d’implorer Dieu pour qu’Il fasse lever l’inflation et dissiper l’épreuve.

Par conséquent, lorsque l’injustice et l’accaparation se répandent, quand les plus forts dominent les plus faibles et lorsqu’une minorité d’individus cupides dominent le marché en vendant les marchandises deux ou plusieurs fois leurs valeurs réelles, sans éprouver de crainte vis-à-vis du Créateur ni de compassion vis-à-vis des créatures, la tarification devient alors permise pour protéger le plus faible et préserver la société contre la désintégration et l’effondrement.

Les livres de références de l’école hanafite tels que « al-hidaya », « al-ikhtiyar » et d’autres stipulent que si les propriétaires des marchandises venaient à contrôler et à dépasser leurs valeurs réelles d’une manière excessive, le gouvernant est dans l’obligation de tarifier en consultant les gens compétents en la matière et ce, afin d’empêcher le préjudice à l’encontre des gens.

Et c’est ce qu’explique Ibn Taymiya dans son traité sur « al-hisba » en indiquant que la tarification se divise en deux catégories : une tarification injuste et illicite et une tarification juste et permise.

Moncef Zenati

 


[1] – Coran s 5 v 6

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