Bien que la « shari’a » respecte les valeurs morales par principe, cela ne l’a pas empêché de prendre en compte le contexte en vigueur en légiférant des lois qui soignent ses maux et le préserve des préjudices.
Il ne s’agit donc pas d’une législation utopique et idéaliste en supposant un être humain qui n’existe pas à l’instar de Platon et sa cité idéal ou d’al-Farabi et sa cité vertueuse, ou de la société dans l’imaginaire du communisme dans laquelle il n’y n’aurait aucune distinction sociale, dans laquelle la propriété individuelle disparaîtra et dans laquelle on n’aura besoin ni d’état, ni de juridiction, ni de police ni de prisons !
La « shari’a » légifère pour l’être humain en considérant toute sa dimension humaine, comme Dieu l’a créé, avec son corps matériel émanant de la terre, et son âme émanant du ciel, avec ses nobles aspirations et ses bas instincts, avec son égoïsme et son altruisme, avec sa moralité et son immoralité « Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ; et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété » (le soleil : 7 – 8)
C’est pour cette raison que le Coran n’a pas ordonné ce qu’a ordonné les Evangiles qui disent : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau ». Il s’agit d’un comportement utopique et idéaliste qui pourrait être approprié dans l’éducation d’une élite particulière au cours d’une époque bien déterminée à l’instar des apôtres de ‘Issa (Jésus), que la Paix de Dieu soit sur lui, à son époque. Mais cette attitude ne pourrait faire l’objet d’une loi généralisée pour un état universel au sein d’une législation éternelle.
C’est pour cela que le Coran a fixé la sanction à affliger au transgresseur par une sentence équivalente à son agression sans rien lui ajouter, établissant, ainsi, le niveau de la justice. Mais, il ouvre la porte pour quiconque aspire au niveau du pardon et de l’indulgence en disant : « La sanction d’une mauvaise action est une peine identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Dieu » (la consultation : 40), « Et si vous punissez, infligez à l’agresseur une punition égale au tort qu’il vous a fait. Et si vous endurez, cela est certes meilleur pour les endurants » (les abeilles : 126)
Par ailleurs, ni le Coran ni le Messager de Dieu n’ont demandé aux musulmans ce qu’a demandé Jésus à celui qui voulait le suivre : « Vends tes biens et suis-moi ». Au contraire, le Messager de Dieu dit : « Merveilleux sont les biens au mains d’un homme vertueux ». Il dit aussi : « Aucun bien ne m’a été d’utilité plus que ne l’ont été les biens d’Abou Bakr ». Il implora Dieu en faveur d’Anas (rad) pour que Dieu lui fasse accroître ses biens et sa descendance.
Ainsi, l’amour qu’éprouve l’être humain pour la propriété des biens est réaliste et tout à fait naturelle. Il n’y a aucun danger à considérer cette nature et à la reconnaître après l’avoir raffiné, élevé et orienter vers l’intérêt de la société dans sa totalité. S’opposer à cette nature serait totalement vain et impossible.
C’est pour cette raison que la législation a instauré le droit à la propriété, mais l’a entouré d’un ensemble de restrictions afin de limiter son danger.
Le réalisme de la « shari’a » se manifeste également dans le fait qu’elle ne s’est pas contenté de la dimension religieuse ou morale pour la préservation des droits, bien qu’elle ait accordé à ce sujet un grand intérêt en insistant là-dessus et en y appelant. Elle a établi, à côté de cette dimension, un code pénal, car la réalité du contexte veut que pour certains gens, l’exhortation et l’orientation ne saurait suffire, seule une sanction adéquate serait à même de les réprimer et dissuader de recommencer, ce qui dissuadera toute autre personne. C’est dans ce sens que le troisième calife dit : « Dieu redresse par l’autorité ce qui ne redresse pas par le Coran »
Le réalisme de la « shari’a » se manifeste aussi dans le fait qu’elle reconnaît – bien qu’elle appelle à la Paix – le principe de la guerre. Il s’agit d’une loi naturelle par laquelle les hommes se repoussent les uns les autres. Dieu dit : « Et si Dieu ne neutralisait pas une partie des hommes par une autre, la terre serait certainement corrompue » (la vache : 251), « Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, des ermitages seraient démolis, ainsi que des églises, des synagogues et des mosquées où le nom de Dieu est beaucoup évoqué. » (le Pèlerinage : 40). C’est dans ce sens que la législation musulmane instaure le « jihad » ou le devoir de résistance dans le but de repousser l’agresseur.
Etant donné le réalisme de la « shari’a », elle instaura le divorce. En effet, la réalité atteste que certains ne connaisse pas la réussite dans le mariage. Or, toute la pénibilité réside dans le fait d’être dans l’obligation de supporter la personne avec laquelle on ne pourrait vivre, en particulier lorsqu’il s’agit d’une coexistence d’une vie. Le dicton dit : « La pire des épreuves, réside dans le fait de cohabiter avec celui qui ne s’accorde pas avec toi mais qui ne te quitte pas ». Dans d’autres termes : être obligé de prendre ton ennemi comme un ami. Il n’est donc pas étonnant que la législation musulmane a instauré le divorce même si elle déclare que c’est la chose licite la plus détestable à Dieu.
Par contre, elle encadre cette procédure d’orientations, de règles et d’engagements pour éviter toute mauvaise utilisation de ce droit et en a fait le dernier recours face à l’échec de toutes les tentatives de réconciliation.
Le réalisme de la « shari’a » se manifeste également dans le fait qu’elle prend en compte les cas de nécessité que les gens rencontrent dans leur vie, au niveau individuel ou collectif. Elle établit pour ces cas des dispositions particulières rendant licites ce qui est illicite en temps normal concernant l’alimentation, les vêtements, les contrats et les affaires sociales. Dans certains cas, elle assimile même le besoin « haja » à la nécessité « daroura » par esprit de souplesse pour la communauté et pour repousser de celle-ci tout préjudice.
Ce principe est tiré du Coran. Dieu dit : « Si quelqu’un est contraint par la faim, sans inclinaison vers le péché, alors Dieu est Pardonneur et Miséricordieux » (la vache : 173). Il est également tiré de la Sunna puisque le Prophète (saws) autorisa à ‘Abd ar-Rahman ibn ‘Awf et à az-Zoubeïr ibn al-‘Awwam de porter de la soie car ils souffraient de démangeaison bien que la soie soit interdite aux hommes.
La « shari’a » est réaliste car elle reconnaît le changement de contexte que ce soit à cause de l’altération des mœurs, de l’évolution de la société et l’existence de nécessités. C’est pour cette raison que les jurisconsultes « fouqaha » permettent le changement de la disposition juridique circonstanciée « fatwa » en fonction du changement des époques, des lieux, des habitudes et des contextes. Ils se réfèrent pour cela aux agissements des compagnons et des califes bien guidés auxquels le Prophète (saws) nous a demandé de nous conformer.
La « shari’a » est fondée sur la souplesse
La « shari’a » est réaliste car elle est fondée sur la souplesse et la facilité et sur le fait d’écarter toute gêne. Dans le Coran, Dieu apprends cette invocation aux croyants : « Seigneur ! Ne nous charge pas d’un fardeau lourd comme Tu as chargé ceux qui vécurent avant nous. Seigneur ! Ne nous impose pas ce que nous ne pouvons supporter » (la vache : 286). La Sunna authentique nous dit que Dieu exauça cette imploration. Le Prophète (saws) dit : « J’ai été envoyé avec une religion fidèle à la voie d’Ibrahim et souple ». Il dit à ses compagnons : « Dieu vous a suscités pour apporter la facilité. Il ne vous a jamais suscités pour apporter la difficulté ». Dieu dit : « Dieu veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous » (la vache : 185), « Dieu ne veut pas vous imposer quelque gêne » (la table servie : 6), « Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion » (le Pèlerinage : 78), « Ceci est un allègement de la part de votre Seigneur, et une miséricorde » (La vache : 78), « Dieu veut vous alléger (les obligations )car l’homme a été créé faible » (les femmes : 28).
D’ailleurs, c’est sur cette base que les savants établirent l’un des adages juridiques les plus importants dans le droit musulman : « La difficulté apporte la facilité »
Les causes d’allègement et ses catégories
Les jurisconsultes « fouqaha » ont cité un ensemble de causes apportant l’allégement, à savoir : la maladie, la contrainte, l’erreur, l’oubli et la généralisation d’une situation.
Par ailleurs, les savants divisent les allègements apportés par la législation en plusieurs catégories :
Premièrement : L’allègement par dispense à l’instar de la dispense de certains actes cultuels en cas d’existence des causes le permettant.
Deuxièmement : L’allègement par diminution comme le raccourcissement des Prières pendant le voyage.
Troisièmement : L’allègement par substitution comme la substitution des ablutions par le tayammum.
Quatrièmement : L’allègement par avancement comme le regroupement des Prières pendant le voyage ou pour un besoin en dehors du voyage, l’avancement du paiement de la zakat au début de l’année ou l’avancement du paiement de la zakat « al-fitr ».
Cinquièmement : L’allègement par retardement à l’instar du regroupement des Prières ou de l’ajournement du jeûne pour le malade.
Sixièmement : L’allègement par dérogation à l’instar de la consommation de l’alcool en cas de nécessité.
Septièmement : L’allègement par changement à l’instar du changement des modalités de la Prière en cas de peur.
La prise en considération de la règle de la progressivité
Ce qui prouve le réalisme et la souplesse de la « shari’a », c’est qu’elle tient compte de la règle de la progressivité au niveau des obligations et des interdictions.
En effet, lorsque l’islam a établi les obligations religieuses telles que la Prière et le jeûne, il les a établis progressivement jusqu’à ce qu’elles parviennent à leurs formes finales.
Ainsi, la Prière fut tout d’abord prescrite sous forme de deux « rak’a ». Puis, elle fut maintenue sous cette forme pendant le voyage, et augmentée à quatre « rak’a » en résidence (pour les Prières du dhohr, du ‘asr et du ‘Icha).
Quant au jeûne, il fut tout d’abord instauré d’une manière optionnelle. Celui qui le voulait, jeûnait, et quiconque souhaitait ne pas jeûner devait compenser en nourrissant un pauvre pour chaque jour non-jeûné conformément à ce qu’al-Boukhari rapporte d’après Salam ibn al-Akwa’ (rad) au sujet de l’explication du verset : « Mais pour ceux qui peuvent le supporter, il y a une compensation : nourrir un pauvre. Et si quelqu’un fait plus de son propre gré, c’est dans son propre intérêt ; mais il est mieux pour vous de jeûner, si vous saviez » (la vache : 184)
Ceci est également vrai en ce qui concerne les interdictions. Dieu sait que ces interdictions sont fortement ancrées dans les âmes et dans la société. Il n’est donc pas de la sagesse de sevrer les gens par une loi soudaine. La sagesse consiste plutôt à les préparer psychologiquement et intellectuellement à accepter cette loi en instaurant l’interdiction d’une manière progressive de manière à ce qu’ils l’exécutent de leur plein gré. L’interdiction de l’alcool est l’exemple le plus significatif à ce sujet.
De même que l’esclavage qui était un système fortement ancré dans la société. Son interdiction soudaine et brutale aurait conduit à un désordre au niveau social et économique. La sagesse était donc de limiter ses sources et d’élargir les opportunités d’affranchissement des esclaves, ce qui correspond à l’abolition progressive de l’esclavage.
Moncef Zenati
d’après « madkhal lidirasat ash-shari’a al-islamiyya » de Dr. Youssef al-qaradawi
1 Comment
A salam 3alayikum.
tout ce que je peux dire, est que ce que Allah a dis est dis, personne d’autre ne pourra changé. c’est claire et nette.