Alors que se dessine les prémices de la rentrée des classes pour les écoliers, alors que vient sonner la fin de l’été avec la reprise d’une activité pour certains, un nouveau départ pour d’autres, nous accueillons un temps fort de notre calendrier musulman : la commémoration de l’hégire.
Le nouvel an de l’hégire vient rappeler l’émigration du Prophète (saws) de la Mecque vers Médine. C’est en 622 de l’ère chrétienne que cet événement se déroule.
L’hégire constitue une période très importante de la révélation, c’est Omar Ibn Khattab (rad) pendant son califat (sur proposition de ‘Ali Ibn Abi Taleb (rad)) qui a décidé que l’année de l’hégire serait le point de départ du calendrier musulman.
Cet évènement marque d’ailleurs la naissance d’un état musulman.
Cette année, cette date vient coïncider avec le début de l’année scolaire, ce qui renforce un peu plus la dimension éducative et spirituelle que revêt cette étape dans la vie du prophète (saws) et des compagnons.
La période mecquoise est est un le théâtre de persécutions, de violences et d’oppressions à l’égard des musulmans de l’époque. C’est à l’issue de 13 années d’endurance face à tant d’injustices que Dieu ordonne au Prophète (saws) et aux compagnons de quitter leur ville natale pour Médine. Ces 13 années, au-delà des souffrances vécues par les musulmans, ont pourtant permis la mise en place d’un socle solide et fondateur de ce qui deviendra l’état musulman de Médine.
L’exil comme cheminement vers Dieu
Littéralement, le terme Hégire signifie rupture, exil. Dans l’inconscient collectif lorsque nous évoquons ce terme il peut faire référence à un voyage, à l’idée de partir d’un endroit pour se rendre à un autre.
De nos jours, « vivre l’hégire », dans son côté pratique, reviendrait à se déplacer d’un point A vers un point B. Inutile de rappeler que dans nos sociétés modernes où tout va vite, où le bout du monde est accessible en un clic ou en un billet d’avion, le concept d’hégire ne semble pas lié à cette idée de déplacement géographique. Cet aspect est d’ailleurs renforcé les paroles du Prophète qui disent
« point d’émigration après la conquête de la Mecque, à l’exception d’un effort dans la voie de Dieu et d’une intention sincère » (rapporté par Al-Boukhari et Muslim).
Ainsi, nous accédons à la dimension symbolique de l’hégire, il ne s’agirait donc pas d’une émigration mais plutôt de notre volonté à cheminer vers Dieu.
Méditer sur l’hégire vécue par le Prophète (saws) et les compagnons, c’est se donner la chance de repenser sa relation à Dieu, aux Hommes et au monde.
Lorsque l’ordre de quitter la Mecque est donné, les musulmans de l’époque parviennent à sacrifier leurs biens. En leur demandant de quitter leur terre natale, leurs familles, leurs repères Dieu les invite, alors, à renforcer leur capacité à s’abandonner à la décision divine. En obéissant, ils font alors l’expérience du sacrifice et de la soumission la plus totale à leur créateur. C’est cette action qui vient témoigner de la satisfaction des musulmans de l’époque dans ce que Dieu leur a réservé, ceci traduit l’idée que celui qui aura goûté à la douceur de la foi est celui qui accepte tout ce qui vient de Dieu.
Se satisfaire de la volonté divine :
La satisfaction devant le décret divin est l’un des enseignements de l’Hégire. En ce jour de commémoration, il est important de se rappeler cette qualité du croyant. Sommes-nous satisfaits de ce que Dieu a décidé pour nous ? Invoquons-nous suffisamment Dieu ou sommes-nous sujets à la plainte constante sur nos existences ? Acceptons-nous les épreuves ? Sommes-nous reconnaissants de nos facilités ? Tel est le travail introspectif que nous devons accomplir en se rappelant ce temps fort. De cette introspection pourrait naître la reconnaissance et la gratitude devant ce que Notre Seigneur nous a réservé.
L’illustration de ce propos tient dans le comportement d’un des compagnons du Prophète (SAWS) Souhayb Ibn Sinan Arroumi (rad) qui lors de l’Hégire fut rattrapé en chemin. Il était un archer réputé pour ne jamais rater sa cible. Alors qu’il venait d’être rattrapé par les quraychites, son arc et ses flèches à la main, il leur cria :
« Hommes de Quraysh ! Vous savez, par Allah, que je suis l’un des meilleurs archers et que ma cible est infaillible. Par Allah, si vous approchez davantage, mes flèches vous tueront l’un après l’autre. Après, je n’hésiterai pas à combattre avec mon épée. «
L’un des Qurayshites répondit :
» Par Dieu, nous ne te laisserons pas nous échapper en vie et avec ton argent. Tu es venu à La Mecque faible et pauvre et tu y as acquis tout ce que tu possèdes aujourd’hui.
– Que diriez-vous si je vous abandonne toute ma richesse ?, interrompit Souhayb. Me laisseriez-vous en paix ?
A l’époque, les notables de la Mecque se caractérisaient par leur amour de l’argent et des biens, ainsi leur choix fut simple, ils acceptèrent le marché. Souhayb fut libre, les quraychites ne doutèrent pas de sa parole.
Une fois en compagnie du Messager (saws), il comprit que cette transaction avait été fructueuse en sa faveur. C’est dans ce sens qu’eut lieu la descente du verset : « Et il y a parmi les gens celui qui se sacrifie pour la recherche de l’agrément d’Allah. Et Allah est Compatissant envers Ses serviteurs. » sourate La Vache, verset 207.
En ce jour de rappel des enseignements de l’Hégire, réfléchissons sur notre capacité à délaisser à la fois nos biens matériels qui peuvent être des obstacles à notre relation à Dieu mais aussi nos mauvaises habitudes.
C’est en évoquant la notion d’émigration que Dieu dit dans la Coran au sujet de Ibrahim (as) « moi, j’émigre vers mon Seigneur, car c’est Lui le Tout Puissant, le Sage ». Sourate L’Araignée, verset 26.
De la reconnaissance envers Dieu à la purification de l’âme
Alors l’hégire serait la possibilité de vivre l’abandon de ce que Dieu a interdit pour ainsi se rapprocher de Lui à l’image de ce verset.
Pour aller un peu plus loin, célébrer et penser l’Hégire c’est aussi s’attacher à l’essentiel, sortir des futilités et combattre nos instincts les plus vils.
A ce sujet, notons le hadith du Prophète (saws) qui dit « et l’émigré est celui qui a délaissé ce que Dieu a interdit » rapporté par Al Bukhari.
Délaisser ce que Dieu a interdit comporte de manière intrinsèque un rapprochement vers l’amélioration du comportement et ainsi l’anoblissement du caractère. Il s’agit, incontestablement, d’un objectif à atteindre pour chaque croyant.
L’hégire entre solidarité et co-existence :
C’est dans cette perspective qu’il est intéressant de considérer l’Hégire, il s’agit d’un évènement qui encourage également à développer les valeurs telles que la solidarité et la générosité à l’image de l’accueil des médinois et notamment par l’élaboration de la constitution de Médine qui permit, à l’initiative du Prophète (saws), de faire de Médine le refuge, l’exil pour les musulmans en préservant leur dignité. Ce pacte vint signer et poser les fondations d’une co-existence pacifiste. Il est riche d’enseignements de nos jours.
Le Prophète (saws) est né à la Mecque, une fois le début de la révélation entamé, il a pour mission de prêcher auprès des notables. Non sans surprise, cette élite ne supporte pas ce nouveau message porteur d’espoir et libérateur. Pour les détenteurs du pouvoir de la Mecque, l’islam constitue une menace qui viendrait faire valoir la soumission à la justice de Dieu contre l’injustice des hommes. C’est pour préserver leurs intérêts qu’ils combattent le message. C’est dans ce contexte d’oppression et de persécutions que l’hégire est préconisée. Il est clair que si Dieu avait voulu éviter la persécution aux musulmans, cette tâche aurait été aisée à la hauteur de Sa Puissance néanmoins c’est en les éprouvant qu’Il les a préparés à l’avenir qui les attendait.
Penser l’action de façon intelligente et planifiée :
Cette caractéristique doit également être méditée pour nous aujourd’hui. Elle impose une réflexion sur l’idée de la patience et de la riposte intelligente. Quoi de plus simple et de plus instinctif que de rendre plus violemment ce que l’on subit ? Il existe pour autant une attitude plus noble et plus digne : celle de se contenir face à l’ennemi. C’est précisément ce que Dieu enseigne aux croyants. La riposte intelligente consiste à se préparer pour sortir de cet état d’opprimés de manière durable. Ainsi, la théorie de « celui qui tape le plus fort » n’est pas à retenir. Il s’agit plutôt de s’organiser, de planifier les actions qui viendront nous sortir de cet état, telle a été la stratégie proposée aux musulmans à travers l’exemple du Prophète (SAWS).
Pour ce faire, il est important de se montrer patient et notamment de changer notre rapport au temps.
Intemporalité des enseignements de l’hégire :
En ces veilles de rentrée des classes et en ce premier jour d’une nouvelle année hégirienne, méditons notre rapport au temps à la lumière des enseignements du messager. Nos sociétés nous poussent à toujours courir, nous nous inscrivons dans une logique de rentabilité. Notre existence se doit d’être rentable car il nous est rappelé, à tous moments, que la vie est courte. Alors nous perdons notre temps à vouloir le gagner. Mais qu’avons-nous fait pour nous ? pour nos familles ? pour notre communauté ?
Avons-nous pris le temps d’apprécier un moment simple ?
Avons-nous écouté la réponse à ce « ça va ? » automatique que nous adressons à nos proches ?
Avons-nous médité sur un verset du Coran ? Avons-nous pleuré en écoutant une récitation ?
Nous sommes-nous émerveillés des beautés de la création ?
Avons-nous ressenti dans nos corps en bonne santé toute la dimension d’un Alhamdoullilah prononcé sincèrement ? Nous sommes nous senti aimé de Dieu devant une douleur ressentie car Il ne nous a pas oublié ?
Revenir à l’essentiel tel est la symbolique de cette nouvelle année qui débute.
Puisse Dieu nous accompagner dans ce retour et nous garder proche de Lui le plus longtemps possible Inch’Allah.
Charlotte VD