Y a-t-il une place pour le féminisme dans l’islam ? Entretien avec Zahra Ali, doctorante en sociologie à l’EHESS et à l’Institut français du Proche-Orient.
Zahra Ali, chercheuse d’origine irakienne et auteur de « Féminismes islamiques », travaille sur l’émergence d’une dynamique féministe musulmane en Occident et dans le monde musulman. Elle réfute toute soumission de la femme dans le port du voile. Interview.
Le Point.fr : Certaines images ont frappé l’Occident durant le Printemps arabe. Des femmes aux voiles multicolores, poing levé, regard déterminé, se placent au coeur des manifestations comme porte-voix de la révolution et de la cause des femmes. Peut-on être féministe et voilée ?
Zahra Ali : Évidemment, oui. Dans la mesure où le port du voile peut correspondre à différentes réalités. On voit bien l’image à laquelle vous faites référence. Ces femmes qui portent un foulard sur la tête et qui manifestent pour défendre leurs droits pour la démocratie. Ce sont même des images qui tendent à se banaliser. Ce n’est pas une réalité qui date d’aujourd’hui. On pouvait le constater déjà dans les années 70 ; une période que la chercheuse d’origine égyptienne Leila Ahmed* a appelée « le processus de révoilement post-colonial ». Un processus porté par des femmes proches des mouvements islamistes. Plus tard, dans les années 90, on a vu le port du foulard posé de façons multiples. Des jeunes filles peuvent le porter tout en étant très maquillées, d’autres avec des vêtements très amples. Ce n’est pas le port d’un bout de tissu qui va empêcher l’engagement politique. Souvent, c’est un marqueur de religiosité, mais pas uniquement. Le voile est tout sauf le signe d’une oppression ou d’une soumission à une injonction masculine.
À quel moment peut-on parler de « féminisme islamique » ?
Le fait qu’un certain nombre de femmes décident d’affirmer leur aspiration à la libération et à l’émancipation tout en restant fidèles à leur pratique religieuse, voilà ce qu’on appelle les féminismes islamiques aujourd’hui.
Le féminisme est-il compatible avec l’islam ?
Qu’entend-on par féminisme ? Et qu’entend-on par islam ? On se rend très vite compte qu’il faut parler au pluriel ; qu’il y a bien des féminismes, et bien des manières d’approcher et de vivre l’islam. Tout comme la vision coloniale de l’islam lui fait perdre sa diversité et sa complexité, l’approche philosophique du féminisme réduit le féminisme à une lutte pour l’émancipation.
Vous affirmez dans votre ouvrage, « Féminismes islamiques », que le terme « féminisme » est inapproprié, empreint de colonialisme…
Le terme féminisme est le plus souvent inapproprié lorsqu’il s’agit des sociétés musulmanes, parce qu’il y a cette histoire du féminisme colonial qui a commencé à la fin du XIXe siècle avec l’argumentaire féministe : « On va libérer les femmes du patriarcat arabo-musulman. » Évidemment, cela a été justifié pour l’ambition libératrice occidentale. En France, nous avons les écrits de Frantz Fanon (psychiatre et essayiste français martiniquais et algérien), où il raconte, sous l’intitulé de « La bataille du voile », cette volonté de dévoiler les femmes algériennes. On a même eu des scènes de dévoilement publiques à Alger, en mai 1958, pour montrer au monde que la France est bien partie en Algérie pour civiliser les Algériens. En Égypte, on a eu ce fameux lord Cromer (fin du XIXe siècle), qui était le représentant de l’empire britannique dans le pays et qui avait mené également une compagne pour le dévoilement des femmes. C’est pourtant ce même lord Cromer qui était membre fondateur de la Ligue masculine contre le suffrage féminin. On voit bien qu’il n’y a pas de réelles convictions derrière tout cela. C’est uniquement l’homme blanc qui n’a rien de féministe et qui vient juste libérer la femme bronzée de l’homme bronzé. Pour l’Occidental qui est allé civiliser les colonies, le patriarcat s’exprime à travers le port du voile. Cet argumentaire féministe a été justifié hier à des fins coloniales ; il est utilisé aujourd’hui à fins impérialistes. On l’a vu en Afghanistan, on l’a vu en Irak. Tout cela a rendu le terme « féministe » extrêmement péjoratif pour une grande partie des femmes des sociétés musulmanes.
Vous allez plus loin dans votre ouvrage, en « osant » évoquer un féminisme islamique qui modernise le concept du féminisme d’Élisabeth Badinter. Selon vous, les femmes musulmanes sont une vraie chance pour le féminisme. Une opportunité pour le repenser et le renouveler.
Oui, comme l’a été le féminisme afro-américain, comme l’a été la critique féministe post-coloniale, le féminisme islamique peut apporter sa pierre à l’édifice. Pour les féministes musulmanes, la question de l’égalité des sexes ne peut pas être abordée toute seule. Quand on parle d’égalité des sexes, il faut y imbriquer aussi l’égalité des races, l’égalité des classes, etc. Cette imbrication est nécessaire. Il y a des personnes dominées politiquement parce que racialisées. Le féminisme ne se suffit pas à lui-même, il s’imbrique à d’autres luttes pour l’égalité. Le féminisme islamique, c’est aussi l’action politique à partir de la foi. Affirmer que l’émancipation et la libération ne passent pas automatiquement par une mise à distance du religieux. À travers ces deux éléments, c’est-à-dire l’imbrication d’autres causes que celle de l’égalité des sexes et la non-mise à distance du religieux, les féministes musulmanes aujourd’hui peuvent contribuer à nourrir le féminisme et à le renouveler.
Et Badinter dans tout ça… ?
Pour ce qui est d’Élisabeth Badinter, je dirais qu’elle est la représentante du féminisme hégémonique qui n’existe que par la désignation de l’Autre : musulman, arabe, femme voilée et jeune de banlieue… Elle assimile, et donc confond, émancipation avec occidentalisation. Elle considère le modèle occidental de féminisme comme le référent unique et supérieur que devraient suivre toutes les femmes. Pour couronner le tout elle est actionnaire de Publicis, une boîte de publicité, un instrument majeur de l’exploitation du corps des femmes à des fins marchandes. En ce sens elle est une figure de l’antiféminisme.
* Zahra Ali, Féminismes islamiques, La Fabrique éditions.
* Leila Ahmed, A Quiet Revolution, Copyrighted Material.
Première parution sur Lepoint.fr
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2 Comments
Salam!
je suis déçue que l’on ne fasse pas la comparaisson entre madame badinter qui veut que la femme PRENNE la place de l’homme et le féminisme islamique qui veut que nous ayons hommes et femmes chaquns nos droits et obligations.
Je suis musulmane féministe et quand je dis ça les gens sont incrédules.
Pour eux l’Islam c’est les talibans et la societé patriarcale préislamique! ou alors ils nous collent à la figure que pour le témoignage il faut 2 femmes pour 1 homme sans chercher à comprendre que c’est dû à la nature de la femme. Quand elles tiennent le pouvoir la plupart sont des tatcher et quand il y a quelqu’un à lycher elles sont au premier rang! on est plus sujette à nos crises d’hormones qui nous randent plus fermes que nos hommes qui sont plus doux, en tout cas ceux qui sont fermement attachés à la foi!
salam ma soeur. tu m’enlèves les mots de la bouche. très pertinent ton commentaire. Le féminisme tel que mis en avant par l’Occident est incompatible avec le Livre de Dieu et la Tradition du Prophète!