Nous n’avons pas cherché à être vu ou entendu là ou cela « se passait », à savoir dans les médias. Nous avons pris une distance nécessaire, salvatrice. Si nous souhaitons nous exprimer aujourd’hui, c’est que le temps de la pression semble s’éloigner, lorsque celui de la dépression peut nous guetter. Et les raisons de déprimer sont nombreuses pour tous et notamment pour une grande partie des musulmans.
Plusieurs signes inquiétants semblent s’accumuler… Manifestation certes peu rassembleuse aux abords de l’ambassade américaine, provocation mercantile dans une certaine presse satyrique, pétition à droite contre le projet de loi accordant le droit de vote, incertitude/hésitation à gauche, campagne sous l’étendard d’une pseudo laïcité à l’extrême droite…
Symptomatique, un signe parmi d’autres : bien que son sujet soit, rationnellement, totalement éloigné des événements récents, le pourcentage de Français favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales serait « étrangement » passé de 61 (1) à 39% (2) en quelques mois. Un sujet rationnellement éloigné, oui… Mais lorsque la passion l’emporte, et que certains s’emploient à l’instrumentaliser en ces temps difficiles, douloureux, au mépris d’une éthique républicaine qu’ils revendiquent pourtant si haut et si fort, alors qu’on ne s’étonne pas du résultat.
Leur moteur commun ?
L’irresponsabilité, par exemple en France, d’un titre de presse qui semble avoir oublié le lien étymologique entre « media » et « médiation » (3) et participe ainsi à séparer les mondes. Le débat à nos yeux doit dépasser celui sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, auxquelles nous sommes extrêmement attachés, il doit dépasser celui sur la notion de blasphème, subjective selon que l’on soit croyant ou pas, pour aller vers une question universelle : que faisons-nous de notre liberté ? Au-delà de notre auto-satisfaction, quelle est notre responsabilité en tant que porteur d’une parole publique ? La liberté consiste-t-elle à faire ce que JE veux, sans tenir compte du « nous » ?
Ce temps salvateur que nous évoquions en introduction à ce texte nous permettra-t-il, désormais, de nous poser de vraies questions, des questions de sens ?
Autre moteur possible ou influent, autre exemple : le racisme. Celui qui rend responsable d’un acte, aussi condamnable soit-il, le « groupe » auquel appartiendrait son auteur. S’attaquer à un peuple, à une nation, à un drapeau, pire encore à ses représentants sous prétexte qu’un agresseur serait de la même nationalité, couleur ou religion, c’est le moteur même du racisme.
Que le « bricoleur » du film anti islam soit américain, égyptien, juif, copte ou martien, peu importe : cet acte n’implique que lui ! Refusons haut et fort les délires paranoïaques, conspirationnistes et RACISTES qui font d’un individu le porte-parole « du groupe ». Car c’est bien de ça qu’il s’agit : ceux qui s’en sont pris à l’ambassadeur américain, et à ses collaborateurs qui ont laissé leur vie dans ce drame, sont des criminels.
Et ceux qui ont choisi une ambassade pour exprimer leur colère face à la diffusion de ce « film » se trompent de cible : leur démarche se nourrit d’amalgames, ceux-là même que les musulmans connaissent pourtant si bien, étant si souvent l’objet des préjugés. Preuve que la critique n’est pas toujours source d’autocritique…
Nous voulons inverser cette tendance. Nos trois parcours sont très divers; il se sont exprimés sur différents registres et parfois sur celui de la colère. Mais nous sommes tous trois, comme beaucoup d’autres, les porteurs intimes d’une fusion de ces civilisations qui aujourd’hui s’effraient et se rejettent.
En ce sens, nous ne pouvons laisser faire ceux, TOUS ceux, qui nous précipitent dans un choc contre ce qui fonde notre cohérence et notre unité. Cette fusion de l’histoire, des cultures et des civilisations, celle là même que nous portons. Celle qui nous constitue.
Bariza Khiari, sénatrice de Paris, vice-présidente du Sénat
Médine, artiste rappeur, militant associatif
Marc Cheb Sun, auteur, fondateur de Respect Mag
1. Le Parisien, 28/11/2011.
2. Sondage Ifop, 18 septembre 2012.
3. En latin, media est le pluriel de medium (milieu, intermédiaire). Le mot français est issu de l’anglais mass(-)media. La notion d’intermédiaire a aussi une origine grecque, médiation développée par de nombreux philosophes.
Première parution : http://www.respectmag.com/2012/10/03/porteurs-d%E2%80%99une-fusion-des-civilisations-6698