Il y a dans l’histoire des hommes, des êtres vis-à-vis desquels les meilleurs superlatifs et les suprêmes efforts de la plume ne rendent pas assez hommage. Ces esprits brillent autant que les étoiles et sont beaucoup moins nombreux. Ils perdurent dans le ciel de la science et guident les intelligences, comme autrefois les configurations stellaires orientaient les marins dans les océans de la peur et de la nuit. Abû Hâmid al-Ghazali est le nom d’un homme qui vaut celui d’une constellation.
Que le lecteur lève donc avec nous les yeux au ciel de la pensée humaine quelques minutes, pour admirer la profondeur d’un esprit quasi céleste.
Abû Hâmid al-Ghazali est une leçon complète. Complète par l’histoire de l’individu, par sa production scientifique, et par l’influence qu’il jeta sur les siècles qui ont couru devant lui, au point d’en infléchir le destin savant.
Il naquit un jour de 1058 en Perse dans une famille pauvre d’un village désolé. Partant d’une situation à plaindre, il a édifié, par les lumières de l’esprit, une pensée qui vaut bien plus que ces empires bâtis par les feux de la guerre.
L’histoire d’al-Ghazali commence avec la passion d’un père. Ce père, pauvre artisan, dans son amour sincère de l’islam, comprit vite que la science était le moyen du cœur pour toucher à la proximité de Dieu. Il se rendait donc chaque soir, après son travail, dans les cercles des vertueux et des savants pour assister aux magistraux cours d’ici, et aux formidables débats de là-bas. Suite à chaque participation nocturne, il aspirait intimement à devenir spécialiste dans le domaine de la discipline du cours auquel il venait d’assister : langue arabe, rhétorique, jurisprudence, philosophie, exégèse, etc. Un songe qui contenait plusieurs rêves…
Néanmoins, analphabète, démuni et d’âge avancé, ce pauvre homme comprit vite que son rêve ne resterait qu’à l’état d’un vaporeux songe. Alors, il déplaça l’ambition de son cœur sur ces deux enfants pour lesquels, dans des redoublements de lumineuses invocations, il souhaita un grand bonheur savant. À sa mort, il confia ses deux enfants, Abû Hamid et Ahmed, à un ami aussi pauvre que lui, qu’il chargea de les instruire à partir de quelques économies laissées à cet effet. Ce fut promesse honorée. Mais le dénuement de l’ami obligea ce dernier à envoyer les deux orphelins, qui avaient déjà fait part d’étincelles prometteuses, dans une école publique et gratuite. Ils iront jusqu’au bout de cette formation.
Commencera ensuite pour Abû Hâmid, âgé de quinze ans, les longues pérégrinations à travers les contrées lointaines pour rencontrer savants et érudits, maîtriser les divergentes opinions, écrire et écouter, confronter et comprendre. C’était durant ces époques où l’on ne voyageait pas encore pour le bonheur des appareils photos.
Lors d’un retour de ces fameux voyages de l’intelligence, la caravane d’Abû Hâmid al-Ghazali fut attaquée et entièrement pillée. Le jeune élève adjura alors le chef des bandits de lui remettre les supports où était consigné le savoir appris. Le brigand administra alors à notre étudiant une leçon qui n’envie rien aux grandes sagesses : « ne te considère pas savant alors que tout est dans tes cahiers pendant que leur véritable siège est l’esprit ! » Ce fut une belle leçon, une lumière ayant jailli des ténèbres. Il a fallu ensuite trois longues années pour tout mémoriser. Et cette attitude allait devenir une constante. Une bibliothèque sous un crâne !
N’ayant quasiment aucun intérêt pour les biens matériels, al-Ghazali marque une obsession sans bornes pour l’acquisition du savoir et traque la science où elle se trouve : Palestine, Irak, Égypte, Péninsule arabique… Il étudie avec une profondeur océanique les ouvrages les plus aboutis, et fréquente les maîtres les plus réputés. N’ayant aucune ferveur pour les futilités, il cultive la persévérance et tire profit de ses immenses qualités intellectuelles. Exalté, il confronte tout, et n’écarte rien. Chaque livre est profondément lu et étudié dans un esprit où l’activité intellectuelle est intense. Avide de connaissances nouvelles, al-Ghazali prit la direction de Naysabûr où il devint élève et ami intime de l’illustre savant Al-Djûwaynî, imam des deux nobles villes.
À partir de vingt-trois ans, l’élève est déjà maître à bien des égards. Il compose ses premiers ouvrages dans un style propre et frappé d’une grande éloquence, tout en poursuivant son instruction dans un rythme effréné. À vingt-huit ans, sa formation achevée, il est déjà l’un des plus grands savants de l’islam et sa réputation est universelle.
Le rêve de son pauvre père venait de se réaliser dans la tombe : ses deux enfants étaient devenus de grands savants…
Muni de toute sorte de connaissances, le jeune al-Ghazali participe à tous les grands débats de son temps concernant l’ensemble des sujets dont il a une maîtrise solide, et affronte les savants les plus réputés dans des cercles de débats politique, philosophique et de joutes verbales et savantes. Remarqué par le grand ministre seldjoukide Nizam al-Mulk, il est recruté à Bagdad par la plus importante université de l’époque, madrasa Nizâmiyya, dans laquelle il devient le plus jeune enseignant. Il a trente-quatre ans. Reconnu, apprécié et admiré, les étudiants, les professeurs et les notables accourent de l’ensemble du monde musulman vers le jeune prodige pour le rencontrer, et profiter de ses connaissances.
Enfin, viendra le temps où al-Ghazali se mêlera des grandes oppositions intellectuelles qui préoccupent l’élite cultivée. Il étudie profondément chaque opinion et tranche les débats. De ces réflexions naîtront plusieurs ouvrages pour développer un point de vue. Son Intention des philosophes est une synthèse complète de toute la philosophie connue en son temps.
Mais al-Ghazali ne ressortira pas indemne de ces débats ; une profonde crise spirituelle l’affectera, et il se mettra à douter de sa sincérité envers Dieu. Alors qu’il avait atteint le sommet de la renommée et vivait dans une aisance à nulle autre seconde, il comprit que le véritable bonheur intérieur ne pouvait être approché qu’à partir d’une relation profonde avec Dieu. Il comprit aussi que c’était une affaire de cœur, et saisit que l’obstacle à tout ce bonheur étaient justement les richesses matérielles abondantes et le prestige personnel aux yeux des gens. Toute sa situation intime en fait. Le doute de soi affectera terriblement le for intérieur de notre philosophe au point de déclencher une véritable tempête le cœur. Ce tremblement de terre intérieur durera six mois au point qu’al-Ghazali en perdit l’usage de la parole.
Étant dans l’incapacité d’enseigner, il quitte alors les hautes fonctions et le prestige, et décide de s’isoler pour revoir sous tous les rapports son lien avec Dieu. Il délaisse Bagdad l’enchanteresse et tous ses biens. Les deux années qui suivront à Damas, au sein de la mosquée omeyyade, seront entièrement consacrées au recueillement, au Coran et à l’éducation de l’âme. Il prend ensuite la direction de Jérusalem où il se confinera dans la mosquée du Dôme de Rocher : il s’agit d’un retrait total, et totalement spirituel. Au milieu de cet apaisement interne, de ce printemps de l’âme, il commencera la rédaction de son œuvre très fameuse Revivification des sciences de la religion. Ce sera ensuite de nouveau un retour vers Damas, puis un voyage vers La Mecque, et vers Médine, puis de nouveau vers Damas toujours dans un isolement total. Il finira ici son grand ouvrage qui a traversé les âges. Ce sera enfin le retour à Bagdad, suivi d’un nouveau départ vers Khourassan dans le but toujours de cultiver l’apaisement au niveau du cœur et de l’esprit.
Toutes ces pérégrinations furent sa véritable école. Il y consacra dix ans de sa vie. On comprend dès lors mieux la profondeur de ses ouvrages qui traitent de la question de l’éducation de l’âme. Et l’auteur de ces lignes défierait bien le monde pour trouver une meilleure plume ayant traité de ces questions.
Quand Fakhr al-Mulk prendra les commandes de l’État seldjoukide, désireux de faire de son pouvoir un espace d’épanouissement pour les grands esprits, il exercera une forte pression sur al-Ghazali pour qu’il reprenne son ancien poste de professeur. Ce dernier le fera durant deux années. Enfin, il se retirera à Tûs son village natal, où, prenant définitivement place dans un modeste sanctuaire, il y enseignera le soufisme authentique jusqu’à sa mort.
Al-Ghazali reçut par les plus grands savants de la civilisation islamique le surnom de « l’argument de l’islam ». En effet, cet esprit brillant poussa à leur extrémité toutes les expériences et confronta tous les univers de la pensée : rationalité, foi, rai
son, dogme, mysticisme, philosophie, rhétorique… Il en tira des ouvrages qui eurent une influence considérable sur tous les grands esprits qui vinrent après lui. Son expérience vis-à-vis du doute, où il préconisait de tout remettre à plat, eut par exemple une influence directe sur la conception du doute méthodique chez René Descartes, dont la philosophie sous-tend toute la pensée française d’aujourd’hui.
Abderrahim Bouzelmate
2 Comments
Vous trouverez votre récompense auprès d’Allah-inshaeAllah- continuez votre travail de guidance vers les lumiers du coeur et de l’esprit- merci infiniment
Ms hichem bnj je demande votre aide cvp j’ai besoin de quelque information sur le pensé de ibn kaldon et el Ghazali et ibn Sina sur la théorie islamique cvp cvp c’est urgent