En Espagne, la régénération n’est pas venue du Nord, avec les hordes barbares ; elle est venue du Midi, avec les Arabes conquérants… C’était une expédition civilisatrice beaucoup plus qu’une conquête… Par-là, s’introduisait chez nous cette culture, jeune, robuste, alerte aux progrès étonnamment rapide, qui, à peine née, triomphait, cette civilisation qui créée par l’enthousiasme religieux du Prophète, s’était assimilée le meilleur du judaïsme et de la science byzantine et qui, au surplus apportait avec elle la grande tradition hindoue, les reliques de la Perse et beaucoup de choses empruntées à la Chine mystérieuse. C’était l’Orient pénétrant en Europe non comme les Darius et les Xerxès par la Grèce qui repoussait afin de sauver sa liberté, mais par l’autre extrémité, par l’Espagne qui, esclave des rois théologiens et d’évêques belliqueux, recevait à bras ouverts les envahisseurs.
En deux années, ceux-ci s’emparèrent de ce que l’on mit sept siècles à leur reprendre. Ce n’était pas une invasion qui s’imposait par les armes ; c’était une société nouvelle qui poussait de tous les côtés ses vigoureuses racines. Le principe de la liberté de conscience, pierre angulaire sur laquelle repose la vraie grandeur des nations leur était cher. Dans les villes où ils étaient les maîtres, ils acceptaient l’église du chrétien et la synagogue du juif.
« …Du 8ème au 15ème siècle se construira et se développera la plus belle et la plus opulente civilisation qu’il y ait eu en Europe durant le Moyen-âge. Tandis que les peuples du Nord se décimaient par des guerres religieuses et se comportaient en tribus barbares, la population de l’Espagne s’élevait à plus de trente millions d’habitants et, dans cette multitude d’hommes, se confondaient et s’agitaient toutes les races et toutes les croyances. Avec une variété infinie d’où résultaient les plus puissantes pulsations sociales…Dans ce fécond amalgame de peuples et de races coexistaient toutes les idées, toutes les coutumes, toutes les découvertes accomplies jusqu’alors sur la terre, tous les arts, toutes les sciences, toutes les industries, toutes les inventions, tous ces éléments divers jaillissaient de disciplines anciennes ; et du choc de nouvelles découvertes et de nouvelles énergies créatrices. La soie, le coton, le café, le citron, l’orange et la grenade arrivaient de l’Orient avec ses étrangers comme aussi le tapis, les tissus, les tulles. Les métaux damasquinés et la poudre. Avec eux encore la numération décimale, l’algèbre, l’alchimie, la chimie, la médecine, la cosmologie et la poésie rimée. Les philosophes grecs, près de disparaître dans l’oubli, trouvaient le salut en suivant l’Arabes dans ses conquêtes : Aristote régnait à la fameuse université de Cordoue… »
(Dans l’ombre de la cathédrale) par Blasco Ibanez