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Égypte : «Il faut honorer les demandes révolutionnaires»

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Égypte : «Il faut honorer les demandes révolutionnaires» INTERVIEW – Numéro deux des Frères musulmans, emprisonné par le régime Moubarak en 2006 pour «blanchiment et terrorisme», le docteur Khairat el-Shater a été libéré en mars dernier. Il est considéré comme l’éminence grise de la confrérie, première force politique du pays.

Égypte : «Il faut honorer les demandes révolutionnaires»

LE FIGARO. -Le parti  des Frères musulmans, Liberté et Justice, s’est imposé en remportant 47% des sièges de la Chambre basse. Quelles vont être vos priorités?

Khairat EL-SHATER. – Il faut honorer les demandes révolutionnaires. S’agissant du fonctionnement même de l’État, il faut nettoyer toutes les institutions des scories du régime de Hosni Moubarak, renouveler les comités exécutifs… Par exemple, nous voulons une refonte du ministère de l’Intérieur. La police, auteur principal de la répression avant et pendant la révolution, doit être restructurée pour se remettre à fonctionner. Dans le domaine politique, nous devons achever la transition démocratique. Nous avons passé la première étape avec la constitution d’une Assemblée élue. Il reste désormais l’élection de la Chambre haute, le Majlis al-Choura. Viendra ensuite la désignation par le Parlement d’une Assemblée constituante de 100 membres, qui aura pour mission de rédiger la future Constitution selon les volontés du peuple égyptien. L’élection présidentielle aura lieu au plus tard fin juin.

Au départ, le Conseil suprême des forces armées, à la tête du pays, s’était fixé six mois pour rendre le pouvoir aux civils. Quelles garanties avez-vous  que les militaires retourneront  dans leurs casernes en juin?

Il est très possible que le calendrier connaisse de nouveaux retards à cause notamment de groupes qui tentent de semer le chaos en Égypte. On les a vus à l’œuvre fin novembre sur la place Tahrir, affronter la police rue Mohammed-Mahmoud, juste avant les législatives ou encore attaquer le Conseil des ministres en décembre. Ces violences mises à part, je ne vois par pourquoi il y aurait un nouveau délai dans le processus de transition. L’armée est très consciente de la grande dégradation de son image aux yeux des Égyptiens depuis qu’elle gère le pays. Pour elle, il est nécessaire de rendre le pouvoir aux civils.

À plusieurs reprises, l’armée a tenté de s’ingérer dans la rédaction de la future Constitution pour protéger ses intérêts, notamment économiques. Elle cherche à maintenir l’opacité sur son budget, en le soustrayant à l’examen des parlementaires.  Quelle est la position de la confrérie?

Le budget de l’armée ne doit plus être secret. Il doit être étudié au Parlement, mais il faut respecter la nature professionnelle de l’armée, institution qui a des contraintes de sécurité spécifiques. Après l’étude d’autres Constitutions, nous pensons prendre modèle sur le système américain. Un conseil au sein du Parlement étudie en détail et en privé le budget de l’armée, le valide puis communique les chiffres globaux au reste des parlementaires. Le système est transparent, tout en respectant les caractéristiques confidentielles de l’armée.

Une délégation du FMI était au Caire  au début du mois pour examiner  la possibilité de prêts à l’Égypte.  Les salafistes refusent d’y avoir recours, assimilant le système bancaire mondial  à de l’usure. Qu’en pensez-vous?

Avant tout, il est primordial de connaître réellement l’état de l’économie égyptienne aujourd’hui. Nous ne pouvons nous baser sur les communiqués officiels ou les médias, qui font état d’une situation catastrophique. Nous ne savons pas, à l’heure où je vous parle, quels sont les besoins réels de l’Égypte. Mais si, après enquête de notre part, il s’avère que nos ressources ne sont pas suffisantes, nous nous tournerons vers le prêt et examinerons les propositions les plus intéressantes.

Sur le plan international, vous êtes pour le respect des traités signés, y compris  les accords de Camp David, garantissant la paix entre Israël et l’Égypte.  Ne craignez-vous pas de vous trouver dans la position ambiguë du régime Moubarak, décriée par sa population?

Nous sommes les garants de la continuité de l’État et de ses relations extérieures. Pour se faire, nous respecterons tous les accords internationaux. Mais nous ne revendiquons pas tout l’héritage de Hosni Moubarak. Notre rôle, en tant que pays arabe, est de soutenir les décisions que les Palestiniens auront prises selon un mode démocratique qui représente réellement la volonté générale. C’est notre position officielle. Par ailleurs, nous continuerons à faire pression sur les gouvernements occidentaux qui soutiennent de façon inconditionnelle Israël, bien que cet État persiste à entraver le droit international, pourtant édicté par ces gouvernements.

Après avoir été boycottée  par les pays occidentaux, la confrérie reçoit régulièrement la visite  de hauts responsables américains.  Quelles relations entretenez-vous?

Il est très important que les puissances occidentales comprennent que la donne a changé. Avec la crise mondiale, de nouveaux acteurs émergent comme la Chine, l’Inde, le Brésil. Le printemps arabe a rebattu les cartes au Moyen-Orient. Ni les États-Unis ni l’Union européenne n’auront le même rôle qu’avant. La situation géopolitique est en mutation et il est temps pour les puissances occidentales d’en prendre conscience.

Par Marion Guénard Mis à jour | publié le 26/01/2012 sur le figaro.fr

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