Le peuple a fini par donner raison au candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, devenant le premier président élu démocratiquement du pays depuis la chute du régime de Hosni Moubarak. Qui l’aurait cru ? Qui aurait cru que celui qui avait été condamné à mort par le régime de Ben Ali allait finalement être à la tête de la Tunisie ? Qui, au fond, aurait cru qu’un jour un vent printanier allait souffler sur les tyrans les plus sanguinaires de la planète ? Qui aurait cru à cet effet domino ? Qui ? L’Histoire n’était-elle pas en train de nous enseigner la tradition de la vie (sunna al-hayât) ?
Quand la nuit voit le jour
La victoire des Frères Musulmans marque un tournant presque décisif dans ce pays qui a connu les plus grands dictateurs, de Pharaon à Moubarak. Même s’il y subsiste quelques zones d’ombres – que seul l’avenir pourra dissiper – dans la politique et la stratégie des Frères Musulmans depuis le début du soulèvement, il reste que le peuple a fait le choix du parti Liberté et Justice et cela suffit à remettre en cause nos critiques et nos questionnements au sujet de leurs apparentes contradictions. Le revirement politique des Frères, après avoir expulsé le dissident Abd al-Munaim Abu al-Foutouh et leur compromis avec le CSFA (Conseil suprême des forces armées), en particulier, ont suscité beaucoup d’interrogations. Certains y ont vu des fautes de calculs, d’autres de sages concessions. Ce qui nous importe, ceci étant, n’est pas spécifiquement la victoire des Frères, mais, globalement, l’Histoire des Hommes. Et cette dernière semble, pour cette fois, avoir tranché en faveur de Hassan al-Banna. Il faut s’y arrêter. Vraiment. Car la victoire du parti islamiste recèle un trésor d’enseignements.
La graine de la victoire
Cherchant aussitôt à nommer leur groupe et à définir un statut sur lequel ce dernier serait reconnu officiellement, Hassan al-Banna apostrophe ses compagnons et leur fait comprendre que le principe et la priorité de leur union résident dans la pensée, la morale et l’action, non pas dans les apparences et les officialités, avant d’ajouter que du fait qu’ils sont des frères au service de l’islam, ils sont donc les Frères Musulmans. Tout simplement. C’est ainsi qu’en 1928 la confrérie voit le jour : dans une petite ville, sept modestes personnes attristées par le sort de leur communauté décident, avec une détermination de tous les instants, de prendre le destin du pays en main. Leur seul mot d’ordre : l’éducation.
Homme de terrain, Hassan al-Banna consacra ainsi une grande partie de sa vie, avant d’être assassiné en 1949, à éduquer le peuple. Il mit sur pied des écoles, des structures culturelles et humanitaires, des entreprises artisanales et diffusa un nombre considérable d’articles dans plusieurs revues notamment celle des Frères. Il lança le scoutisme musulman qui en peu de temps comptait des centaines de milliers de scouts. Hassan al-Banna se déplaçait continuellement pour donner des conférences qui rencontraient une adhésion importante d’un public émerveillé par sa personnalité, la profondeur de ses discours, son charisme, son intelligence et surtout sa chaleur humaine. Très vite il prend de l’ampleur, et son message, qui s’inscrit dans la lignée des réformistes qui l’ont précédé, notamment Muhammad ‘Abdû et Rachîd Ridâ, a un impact considérable en Egypte et dans le monde. Il réveille la conscience du peuple en même temps qu’il éveille la haine du tyran. Très vite, il est perçu par la présence étrangère et ses alliés égyptiens comme un obstacle à leurs propres intérêts et tentent par tous les moyens d’asphyxier son engagement avant de l’abattre. La machine éducative de Hassan al-Banna est néanmoins bien lancée. L’homme n’est plus mais sa pensée et son action continuent d’alimenter les consciences plus de soixante ans après sa mort. Il a laissé une empreinte intellectuelle et spirituelle indélébile.
Les enseignements de l’Histoire
Les enseignements y sont riches et profonds : charge à l’homme de planter les graines, et revient à Dieu de décider de la saison propice à la cueillette des fruits ; il faut s’attacher à l’effort, et laisser le temps s’occuper du résultat ; il faut s’armer de patience car la vérité finit toujours par triompher. En effet, au cœur d’une obscurité quelconque se trouve une lumière, comme la lune qui brille dans la nuit, et celle qui scintillait dans la noirceur du régime dictatorial d’Egypte était celle de Hassan al-Banna. Il faut l’admettre, les Frères, au-delà de ce qu’on peut leur reprocher, se sont dévoués socialement et se voient à présent récompensés politiquement. Ils ont agi dans l’obscurité de l’Histoire, et actuellement, la lumière semble rappeler leur mémoire. Dieu est Sage et Juste…
* Sofiane Meziani est écrivain, auteur de cinq ouvrages, dont Le Chemin de la Liberté aux éditions Beaurepaire, travailleur social à Lille et membre du Collectif des musulmans de France (CMF).
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